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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Antoine Meillet, l’homme au foulard blanc

Publié le 28 Mars 2020 par Louisdelallier in Ecrivains, Portraits

Le Populaire du 23 septembre 1936

Le Populaire du 23 septembre 1936

C’est ainsi qu’on avait surnommé Antoine Meillet, passionné de musique et fidèle des concerts parisiens pendant 25 ans. Il figure sur le tableau d’un peintre qui l’a tout naturellement représenté au promenoir comme un personnage-type des salles de spectacle.

Une rue de Moulins porte son nom et tous les 5 ans un prix* Antoine Meillet est décerné à des savants parvenus en fin de carrière et connus pour leurs travaux importants en grammaire comparée indo-européenne ou en linguistique générale. Cela en dit un peu plus sur ce Moulinois intellectuellement brillant, « esprit positif et précis ayant horreur des rêveries romantiques ».

Né à Moulins le 11 novembre 1866, il est le fils de Jules Meillet, notaire à Châteaumeillant de 1861 à 1876, et de Louise Poirier. Ses parents sont Moulinois tous les deux et c’est à Moulins qu’Antoine fait ses études. Le lycée Banville l’accueille de la classe de septième au baccalauréat. Il reçoit les prix d’honneur en 1883 et de 1884, année de son bac lettres et sciences. Ses professeurs sont, entre autres, Monsieur Dorizon, en seconde, helléniste distingué, qui partira enseigner le grec le grec à la faculté de Dijon, René Doumic, professeur de rhétorique et monsieur Chabot en philosophie.

En octobre 1884, Antoine intègre le lycée Louis le Grand qu’il quitte un an plus tard pour s’inscrire à la Sorbonne où il prépare une licence. Il suit en parallèle les conférences de latin, de sanskrit et de grammaire comparée à l’école des hautes études. Il obtient son agrégation de grammaire en 1889 avec les meilleurs résultats et débute comme suppléant de Ferdinand de Saussure en 1889 à l’école des hautes études. Il part l’année suivante quelques mois en mission linguistique dans le Caucase où il apprend l’arménien. Il sera titularisé à son poste dès son retour.

Sa thèse de doctorat en 1897, Recherches sur l'emploi du génitif-accusatif en vieux-slave,

lui vaut le prix Volney de l’Académie française.

En 1899-1900, le voici suppléant de Michel Bréal au Collège de France pour la chaire de grammaire comparée (histoire et structure des langues indo-européennes) dont il prendra la suite en 1905.

En 1902, il succède au linguiste Auguste Carrière à la chaire d’arménien à l’Ecole des langues orientales et y reste jusqu’en 1906. Une autre mission le conduit en Arménie russe au cours de l’année 1903.

Correspondant des académies d’Amsterdam, de Belgrade, Bruxelles, Copenhague, Cracovie, Dublin, Göttingen, Christiania, Petrograd, Prague et de la Philological Society de Londres,

Antoine Meillet travaille sans relâche à enseigner et à l’écriture d’ouvrages** qui diffusent largement sa pensée. On lui reconnaît la paternité de la sociolinguistique. Son examen des changements sociaux reflétés dans les modifications des moyens de langage et de leur emploi le conduit à affirmer que « Le langage est un fait social ».

Arrivé à la soixantaine, il  choisit de laisser sa place aux plus jeunes pour ne pas abuser des situations acquises, preuve d’un altruisme rare. Il continue à dispenser son enseignement bénévolement.

L’Institut lui décerne le prix Osiris en 1936, prix triennal récompensant, sur proposition des cinq Académies, la découverte la plus remarquable dans les sciences, les lettres, les arts, l'industrie et, généralement, dans tout ce qui touche à l'intérêt public.

Une vie d’études bien remplie qui prend fin le 21 septembre 1936 à Châteaumeillant. Ses obsèques ont lieu à la cathédrale de Moulins le jeudi 29 septembre à midi avant un enterrement dans le caveau familial au cimetière de la rue de Paris. Ils ne sont qu’une trentaine à entourer Laure, sa femme, pour un dernier hommage. La municipalité moulinoise n’est pas présente. Comme l’écrit déjà un journaliste de l’époque, il vaut mieux être vedette de cinéma si on veut être reconnu. Antoine Meillet ne souhaitant pas de discours officiel, il ne risquait donc guère d’y en avoir… C’est Jacques Chevalier, philosophe et hommes de lettres bourbonnais, doyen de la faculté de lettres de Grenoble qui s’exprime à la demande de Laure.

De son côté, Alexandre-Marie Bracke-Desrousseaux, enseignant, journaliste, homme politique socialiste (fils du chansonnier Alexandre Desrousseaux, auteur du P'tit Quinquin) écrit :

 « Comment laisserais-je passer sans dire ma propre émotion l’annonce que la France - je ne dis pas seulement la science française, je dis la France considérée comme élément de la vie intellectuelle et morale du monde - vient de perdre l’un des hommes qui lui donnaient droit à l’un des premiers rangs dans le concert humain ? ».

Une plaque à sa mémoire est inaugurée le 12 juillet 1937 au lycée Banville.

Louis Delallier

 

*en 2019, ce prix a été remis à Mme Zlatka Guentchéva pour l'ensemble de son œuvre dans les domaines des langues slaves et balkaniques, de la linguistique générale, et en particulier de la typologie.

 

** dont : Les langues et l’Europe nouvelle - Essai sur la parenté des langues - Aperçu d’une histoire de la langue grecque - Etudes sur l’étymologie et le vocabulaire du vieux slave, 1902 - Esquisse d’une grammaire comparée de l’arménien classique, 1903 - Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes, 1903 - Les dialectes indo-européens, 1908 - Grammaire du vieux perse, 1915 - Aperçu d'une histoire de la langue grecque, 1913 - Caractères généraux des langues germaniques, 1917 - Traité de grammaire comparée des langues classiques, 1924 - Esquisse d'une histoire de la langue latine, 1928 - Les origines indo-européennes des mètres grecs, 1923.

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