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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Un charretier, un chauffard et un général-ambassadeur

Publié le 3 Octobre 2021 par Louisdelallier in Faits divers

Vers 17h 30, le samedi 25 mars 1905 au lieu-dit le Grand-Chemin près de Godet, Jean Urbain, 57 ans, charretier au service du marchand de bois Brossard à Moulins, arrive de Toulon à la tête de deux chars de bois en compagnie de Compeau, un collègue. Sa dernière action aura été de se ranger sur le bas-côté  gauche, en entendant derrière lui le ronflement d’une automobile roulant à vive allure. Compeau, lui, s’était garé à droite.

Le pauvre Urbain est percuté de plein fouet et traîné sur une quarantaine de mètres par le chauffard qui continue sa route sans état d’âme. Monsieur Compeau s’empresse auprès de lui et le trouve gisant dans son sang, le crâne ouvert. Il est déjà trop tard. Le docteur Bruel de retour de Neuilly-le-Réal passe peu après et ne peut que confirmer le décès.

Dès l’annonce du drame, l’émoi est très grand aux Bataillots où vivait la victime. La gendarmerie met aussitôt tout en œuvre pour obtenir des informations aussi minimes soient-elles. Compeau, comme les riverains de la route de Lyon ou les habitants du bourg de Toulon ne peuvent que désigner une voiture blanche, peut-être une Mercédès ou une Berliet, immatriculée 402 F, E ou N. Le conducteur d’un deuxième véhicule automobile qui suivait est reparti aussitôt après avoir constaté que Jean Urbain était mort.

Un conducteur moulinois en panne entre Bessay et Toulon a aperçu vers 17 heures deux voitures avançant dangereusement de front et trop vite comme dans une course. Il a pu relever le n° 171 F, élément supplémentaire bienvenu.

Début avril, le propriétaire du véhicule 402 F est retrouvé. Il s’agit d’un Moulinois qui n’a pas circulé à ce moment-là. Puis, ce sont les passagers clermontois de la « 171 F » qui sont identifiés et reconnus comme n’étant pas impliqués dans l’accident.

Les enquêteurs sont dans une impasse et l’affaire se trouve tout près du classement quand une semaine après, un homme entre dans un commissariat parisien pour révéler avoir écrasé quelqu’un entre Saint-Étienne et Nevers près d’une petite ville qu’il a traversée vers le 25 mars. Sa démarche n’est pas aussi spontanée qu’il y paraît. En effet, son patron n’est autre que le général Horace Porter, ambassadeur des États-Unis en France, lequel après avoir constaté quelques dégâts sur sa voiture l’a questionné jusqu’à obtenir le terrible aveu. Il a sommé son mécanicien-chauffeur d’aller se dénoncer sans délai. C’est ainsi qu’Aloïs Bauerfeind, 32 ans, Américain naturalisé français, reconnaît les faits qui seraient dus à une vitesse excessive de plus de 70 km/h.

Il est jugé à l’audience du tribunal correctionnel de Moulins le vendredi 3 novembre suivant pour homicide par imprudence. Maître Chirol et Vivier, avocats de Madame Urbain et de ses deux enfants, Berthe et Léonard, demandent 25 000 francs de dommages et intérêts au général Porter. La Préservatrice, compagnie d’assurance de M. Brossard, représentée par maîtres Bouchy et Tissier, se porte partie civile car elle a déjà été condamnée à verser à la veuve une rente viagère égale au 20e du salaire de l’infortuné charretier. Les témoins sont monsieur Compeau, charretier, monsieur Laurent cultivateur au Grand-Chemin et sa sœur, les gendarmes, M. Boutal, sous-lieutenant au 10e chasseurs qui essayait une voiture sur la route à ce moment-là, les passagers de la voiture « 171 F » et M. Berthomier, agent d’assurance à Moulins. Les personnes qui ont vu passer la voiture de l’ambassadeur ne sont pas d’accord sur la vitesse. L’accusé affirme, avec flegme, qu’il ne roulait qu’à 30 km/h et a voulu faire un « à droite » après un « à gauche » qui a coûté la vie à Jean Urbain. Il explique s’être enfui pour ne pas affronter la réalité et regrette profondément son acte. L’inculpé est défendu par maître Dupré de La Tour qui souligne l’imprudence du charretier lequel a traversé la chaussée au lieu de rester près de son attelage... Maître Levée, quant à lui, conclut à la mise hors de cause du général Porter.

A l’issue de son réquisitoire, M. Lavondès, procureur de la république, demande une sévère application de la loi.

Le verdict tombe le 10 novembre. Pour avoir dépassé la vitesse maximale de 30 km/h en rase campagne, le prévenu est condamné à un mois de prison avec sursis et 500 francs d’amende (1 995 euros). En outre, il devra verser à Mme Urbain et aux enfants 15 000 francs de dommages et intérêts dont 3 290 francs seront reversés à la Préservatrice qui continuera néanmoins à servir sa rente à Mme Urbain.  De plus, la compagnie d’assurances recevra de Bauernfeind 3 472, 55 francs au titre du remboursement de ses débours à la suite de l’accident. Le général Porter est reconnu civilement responsable et solidaire de son chauffeur dans l’acquittement de ses condamnations financières.

 

L’affaire, parce qu’elle concerne un ambassadeur américain qui plus est général, a fait le tour des journaux parisiens et de province : Le Phare de la Loire, Le Soir, Le Peuple français, Le Petit sou, L’Étendard, L’Indépendant rémois, Le Petit bleu de Paris, L’Intransigeant, La Dépêche de Toulouse, L’Estafette, La Cocarde, La Lanterne, Le Progrès de la Somme, Le Petit caporal, L’Eclair, Le Petit provençal, L’Echo de Paris, La libre parole, Le Siècle, Le Temps, Le Petit journal entre autres.

 

Louis Delallier

 

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