Le massacre du cours de Bercy !

Non, nous ne sommes pas en décembre 2022*, mais en février 1890 ! le Courrier de l’Allier publie un très long et véhément article, signé Le Passant et intitulé « Le massacre du cours de Bercy » en réaction à l’abattage d’arbres vénérables. Et pour compléter le parallèle étonnant avec notre époque, le journaliste suggère que « l’influenza qui a mis partout la science en défaut par l’étrange variété de ses symptômes semble avoir sévi sur les municipaux de la bonne ville de Moulins. »

Dérangement grave des fonctions cérébrales, acte inouï de vandalisme, accès suraigu de delirium vastatrix (affection des plus pernicieuses qui paraît remonter aux Vandales, aux Huns et aux hordes barbares), voilà de quoi le conseil municipal est accusé et comparé.

Ces arbres centenaires admirés de tous et fierté des Moulinois tombent sous les haches des marchands de bois à cause du caprice de fous. Après avoir résisté aux orages et aux tempêtes, ils sont sans défense contre « la bande noire ».

Le journal les personnifie en leur adressant la parole via ses colonnes : « Allons, vite, disparaissez à jamais, vous qui faites honte aux Nurembergs de l’avenue des Gâteaux, vous qui vous permettez d’humilier nos belles plantations de la place d’Allier. Plus de géants, plus de vastes ombrages, plus de hautes piles, plus de volumineux troncs de trois mètres soixante de circonférence ! Place aux jeunes ! Place aux petits Nurembergs, bien gentils, tous pareils, sortant tous de la même boîte, charmants petits jouets d’Allemagne** » etc.

Même les animaux sont pris à partie qui auraient eu assez de bon sens, eux, pour les conserver…

La Ville aurait dû entourer de soins ces arbres et les laisser mourir de leur belle mort, à l’égal d’un vieillard que l’on vénère jusqu’à son dernier jour. Le vandalisme est irréparable. Et le journaliste d’exhorter les élus à continuer leur œuvre ignominieuse en supprimant les platanes de l’avenue de la Gare et du square attenant, les tilleuls des cours plus décrépits que les ormes du cours de Bercy, Jacquemart, la Mal-Coiffée et pourquoi pas à créer une commission de destruction publique. Il propose déjà des projets dont le mot d’ordre serait « Place aux jeunes ! ». Il s’agirait d’abattre les arbres de plus de 30 ans pour les remplacer par des « Nurembergs » et toutes les constructions de plus de cinquante ans.

Mais « Le Passant » ne s’arrête pas là. Tout habitant ayant atteint cinquante ans sera supprimé sauf s’il accepte de quitter Moulins !!!

Il conclut ce qu’il présente comme une boutade d’indignation par un copieux paragraphe sur ce que les guides touristiques Joanne publieront au 20^e siècle. Extraits :

« Moulins ; ancienne capitale du Bourbonnais ; ville entièrement neuve, qui se distingue entre toutes par un cachet d’uniformité et de jeunesse. […] Par une décision empreinte d’un véritable esprit de progrès et d’une haute sagesse, les échevins de 1890 supprimèrent tous ces vieux restes d’une époque dont le souvenir même ne devrait plus exister. L’éminent promoteur de cette mesure fut récompensé par la rosette d’officier de la destruction publique. »

Du second degré assurément pour exprimer une véritable colère qui semble bien n’avoir eu aucun écho.

Louis Delallier 

*Les Moulinois comprendront cette introduction. En effet, les travaux en cours du 2^e pont routier sur l’Allier entraînent la modification du carrefour du cours de Bercy et de la rue Félix-Mathé pour créer le raccordement au nouveau pont.

Voici ce qu’écrit Moulins-communauté à ce sujet :

« Pour rappel : Les aménagements prévus sur les cours de Bercy vont entraîner l'abattage de plusieurs arbres. Ces opérations sont réalisées à la suite d'un diagnostic phytosanitaire et sécuritaire des platanes sur ce secteur daté de 2021. Un examen minutieux de chaque arbre a été fait en vue de rechercher tous les symptômes extérieurs de maladies fongiques ou d'attaques parasitaires, ainsi que les défauts apparents susceptibles de compromettre la croissance et la solidité de l'arbre.

Au total, 139 arbres ont été examinés. Sur les 139 arbres du cours de Bercy, 8 arbres étaient déjà abattus : il ne restait que la souche. Sur les 131 arbres effectivement observés, seulement 55 peuvent prétendre à une espérance de maintien sur le long terme, c'est à dire au-delà d'une quinzaine d'années. Ils doivent être conservés. Pour 53 autres, le maintien est acceptable à moyen terme (une dizaine d'années). Le diagnostic recommande l'abattage de 12 arbres, déjà mort ou en fin de vie. 9 ont déjà été abattus et les trois derniers le seront avant la fin de l'année. De nouvelles plantations sont prévues à l’échelle de l’aménagement de l’ouvrage. »

**Depuis le Moyen-âge, on fabrique des jouets à Nuremberg. Son musée qui leur est dédié est célèbre.