En ce jeudi 2 février 1899, jour de Chandeleur*, les curieux, dont un prêtre du diocèse de Paris, se pressent nombreux vers la Tireuse (actuel quartier du Plessis) à Yzeure chez les Pinaud. C’est devenu un rituel à chaque fête mariale. En effet, madame Pinaud est sujette à des crises extatiques au cours desquelles elle voit la Sainte Vierge, vêtue de blanc, et souvent le Christ, drapé de rouge, avec ses plaies aux mains et aux pieds.
Les Pinaud et leurs deux fillettes, Marie et Rosalie, habitent une métairie de deux pièces. Sur la cheminée de la chambre est disposée une multitude d’objets religieux. Anne Pinaud subit ces visions dans son lit d’où elle prononce d’une voix monocorde des prédictions toutes plus inquiétantes les unes que les autres.
Le phénomène a, de loin, dépassé les frontières de l’agglomération moulinoise. En effet, déjà, en février 1897, en plus du Radical de l’Allier, plusieurs journaux nationaux le relatent, tels le Petit Parisien, La Charente, la Gironde ou la Lanterne.
Anne Pinaud, 28 ans, est décrite comme chétive et anémique. Alitée dans son obscure petite chambre, les traits tirés, le regard fixe, elle prend la parole pour expliquer à l’assistance ce qu’elle voit :
Une grande plaine de sable (parabole de la plaie qu’est l’incrédulité universelle, source de tous les maux de l’humanité) avec en son milieu un îlot de verdure (symbole des âmes des croyants qui sauveront de l’enfer les grands pêcheurs). « La France demeurera debout, grande et forte, au milieu des nations vouées à la ruine et à la stérilité. »
Anne affirme que le pays est menacé, qu’une guerre est imminente, que le sang y coulera abondamment, mais que la France soutiendra vigoureusement la lutte.
Puis, à bout de forces, transpirant, elle s’endort après avoir bu une potion tendue par un des médecins présents. C’était le troisième crise de la journée.
Une autre fois, elle découvre une oasis peuplée d’âmes pures, choisies par Dieu, au centre d’un terrain desséché. Et alors se succèdent les phrases incohérentes bien qu’homogènes sur le fond. C’est la France coupable qui sera sauvée grâce aux victimes choisies par Dieu. Il faut par conséquent prier, prier pour contrer un nouveau fléau, une révolution générale de la société et de l’Eglise qui triomphera et sauvera la France. Une guerre éclatera faisant un nombre considérable de victimes car la colère de Dieu est grande contre la France. Heureusement, un ange la protège qui n’empêchera pas la venue de trois archanges qui frapperont la France à la manière de trois épées. Lorsqu’elle sort de sa transe, elle ordonne à tous de s’agenouiller pour prier et faire pénitence tant qu’il est encore temps. Parfois, elle affirme que Dieu est bon et soutiendra la vaillance de nos généraux.
Cette femme qui sait lire et écrire mène une vie tout à fait ordinaire en dehors de ces évènements paranormaux. La Vierge lui serait apparue la première fois en 1880 et la deuxième fois deux ans après la naissance de son premier enfant.
Bien que moins célèbre que madame Couesdon de la rue de Paradis à Paris, elle intéresse le monde médical qui se déplace fréquemment pour l’étudier de près. Les médecins se rejoignent dans leurs constats : Anne Pinaud n’est pas une visionnaire. Elle est dans un état maladif hystérique sans gravité qui la conduit à s’hypnotiser elle-même en fixant un objet et à divaguer en s’inspirant de choses entendues ou lues.
Louis Delallier
* La Chandeleur (ou fête des chandelles), ancienne fête païenne, est devenue une fête chrétienne correspondant à la présentation de Jésus au Temple. Elle a lieu 40 jours après Noël.