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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Le Grand pavillon brésilien des sœurs Foucard fait étape à Moulins

Publié le 23 Avril 2023 par Louisdelallier in Spectacles

Le Courrier de l'Allier du 20 mars 1884

Le Courrier de l'Allier du 20 mars 1884

Les lecteurs du Mémorial de l’Allier et du Courrier de l’Allier découvrent la venue à Moulins du Grand pavillon brésilien dirigé par les trois sœurs Foucard, ce qui est déjà en soi une originalité. Dressé derrière le marché couvert, il ouvre au public le jeudi 20 mars 1884 pour abriter les « plus grandes attractions du monde ». Cette élégante tente décorée, éclairée au gaz et chauffée, peut accueillir 1 000 personnes assises comme dans un cirque. On garantit une bonne soirée pour les familles et les élèves des pensionnats. Les dimanches, jeudis et jours de fête à 15 heures, une grande représentation enfantine est donnée. Gymnastique, équilibre, voltige aérienne sont au programme*.

Nathalie Foucard et le jeune Gilardonni, premier équilibriste du monde et sans rival, exécutent des exercices aériens audacieux au double trapèze qu’ils terminent par la descente du ciel sur la terre. Ils sont entourés d’artistes renommés dont le souvenir s’est bien perdu aujourd’hui :

Le clown Vanouki, les trois frères Wathson à la barre fixe, sans pareils, Gilardonni père et fils dans de périlleux exercices d’équilibre avec perche, Hadj-Sidi-Mahomed et ses sauts périlleux, Jomsone dit l’homme poisson capable de rester sous l’eau plusieurs minutes, Stephan, les deux frères Williams équilibristes, le clown paysagiste Molva qui peint en quelques minutes un coucher de soleil au bord de mer et enfin Barrois de l’hippodrome de Paris qui intervient tous les soirs à 22 heures. Cet homme considéré comme l’un des plus beaux hommes connus est d’une force rare et peut soulever des poids de 20 et 40 kg qu’il maintient au-dessus de la tête de Mlle Foucard étendue à ses pieds jusqu’à ce que le public crie « assez ! ».

Les demoiselles Foucard sont donc trois. Nathalie, Léontine et Blanche ont de qui tenir. Leur père et leur oncle, propriétaires du gymnaste l’Olympe ouvert aux hommes et aux femmes (rue de Lille, puis rue du Bac à Paris), sont professeurs du prince impérial, fils unique de l’empereur Napoléon III. Le journal La Comédie du 23 août 1863 admire déjà la force et l’adresse de deux des sœurs dont l’aînée, Nathalie, 10 ans, a également été recrutée par la famille impériale en qualité de monitrice.

Cette jeune personne a déjà été ovationnée à la fin de l’année 1861 à Berlin où elle se produit. Un jeune musicien allemand a composé à son intention la Natalien-marsch tandis qu’un poète berlinois l’a surnommée la Fleur du trapèze. Elle est recrutée par le Théâtre français à Paris dès décembre 1863. Ce sont les débuts d’une carrière remarquée. Ses sœurs et elle, fortes de leur talent dans le domaine encore nouveau de la voltige aérienne parcourront la France pendant des décennies et obtiendront l’admiration populaire.  

Le Figaro du 7 mai 1867, loin de l’enthousiasme aveugle de ses confrères, parle, quant à lui, de l’exploitation des enfants dans les cirques. Il déplore qu’on réagisse plus promptement quand un cheval se fait insulter que quand un père accroche sa fillette de quatre ans par les pieds à un trapèze…  

En janvier 1876, les trois gymnasiarques se produisent à Bordeaux, puis sont engagées en juin par les Priami du cirque milanais. Montpellier reçoit pour plusieurs représentations celles qu’on présente comme la gymnastique personnifiée. En janvier 1879, elles sont aux Folies-Bergères aux côtés de clowns, jongleurs et musiciens. En juin 1879, le succès est encore au rendez-vous au Pré-Catelan à Toulouse où leur grâce, leur assurance et leur force font mouche aux côtés d’autres artistes comme monsieur Wainratta qui travaille sans balancier sur un fil invisible. On les applaudit encore à Bordeaux et Carcassonne dans le courant de l’année.

Les engagements se succèdent sans anicroche malgré les risques pris jusqu’à la fin avril 1883 quand le public bordelais rassemblé place Magenta assiste à ce qui aurait pu être un drame. L’une des sœurs lâche sa corde pour s’élancer vers le trapèze du professeur de gymnastique Sarrazin censé la rattraper par les chevilles. Et c’est la chute brutale d’une grande hauteur sur le sol. Aussitôt examinée par le docteur Moreau, elle reprend ses esprits et parvient à saluer les spectateurs grâce au soutien de ses partenaires. Dès le lendemain, elle recommence à virevolter sans filet comme si tout était simple. Aucun prénom n’est précisé, mais il pourrait s’agir de Blanche, la reine de la corde.

Ce qui ne fut qu’un incident de parcours ne l’a fait même pas hésiter à exécuter un numéro dans la cage des fauves, particulièrement rétifs, de M. Laurent, toujours à Bordeaux, en mars 1891.

En guise de conclusion, voici un éclairage fourni par Le Gaulois du 2 décembre 1878 sur les dessous de l’histoire des sœurs Foucard. Enfants, elles s’amusent à pratiquer le trapèze et les cordages dans le gymnase prospère de leur papa proche professionnellement du pouvoir impérial. Mais le jour de l’avènement de la IIIe République, le 4 septembre 1870, des partisans du nouveau régime saccagent son établissement. Il n’a d’autre échappatoire qu’une fuite en Angleterre où il meurt peu après de désespoir et d’inaction. Ses filles se retrouvent sans ressources lorsqu’un concours ouvert aux matelots anglais est annoncé avec un prix pour celui qui montera le plus vite en haut d’une corde lisse. Les dix-huit marins inscrits se font voler la victoire par la plus jeune des filles autorisées à participer, sans doute avec condescendance ou commisération. Cette performance leur aura ouvert les portes du succès.

 

Louis Delallier

 

*Le premier numéro de trapèze volant, innovation majeure dans l’art du cirque, a eu lieu en 1859 à Paris. La mise en spectacle de la prise de risque dans l’acrobatie aérienne est devenue une source d’émotion efficace.

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