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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Le café des Négociants de la place d’Allier

Publié le 15 Octobre 2023 par Louisdelallier in Commerce

A droite, le café des Négociants avec son auvent en toile

A droite, le café des Négociants avec son auvent en toile

C’est un disparu qui n’a pas eu la longévité de son concurrent de la place d’Allier, le Grand café, même s’il l’a précédé dans le temps. Ils se faisaient face et devaient se concurrencer car on trouve dans les deux établissements des soirées organisées pour attirer, voire fidéliser la clientèle.

Il est déjà ouvert en fin d’année 1880, car M. Maillot, propriétaire, se voit refuser par le conseil municipal l’autorisation d’installer un auvent pare-soleil à cause de la longueur de la façade. En mars 1902, L Dubost y réalise des travaux pendant une dizaine de jours. On sait du café des Négociants que les sous-officiers de la garnison du quartier Villars s’y sont longtemps réunis au premier étage.

Au fil des décennies, la presse locale informe ses lecteurs de quelques passages d’artistes tout aussi renommés les uns que les autres.

Dans le courant de l’année 1895, le devin Serwell, surnommé le diable à cause de ses grands talents s’y produit. Debout devant le chaos de la pensée humaine, il plonge les spectateurs moulinois dans le fantastique et le mystère de ses numéros d’illusionniste. Cet Américain a déjà fait sensation aux Folies-Bergères de Paris, au musée du Nord à Bruxelles et au Cristal-Palace de Londres.

L’orchestre milanais (un quatuor) dirigé par M. Socrate s’y installe pour trois mois en septembre 1901. Au début de novembre, le chef d’orchestre annonce qu’il tient à remercier la population moulinoise pour son si bon accueil en retardant son départ. Les concerts suivants seront toutefois donnés au café du Théâtre à 17h et à 20 heures. 

Les vendredi 3 et samedi 4 octobre 1902, les poètes et chansonniers montmartrois Victor Tourtal, Léo Daniderff et Émile Ronn suscitent les rappels du public pour des rengaines à la mode comme les Dragons de Villars, la Fille du régiment et Thaïs.

En mars suivant, le « quintette Lanzoni », engagé pour quelques concerts (trois par jour) régale la clientèle.

L’établissement change de mains le jeudi 15 septembre 1904. Le nouveau propriétaire, Jean Billebaud, ex-voyageur de la maison Clerc et Cumin, distillateurs à Lyon, qui est donc un connaisseur, invite ses nombreux amis à l’apéritif, le soir même. Il offrira un service irréprochable en ne présentant que des produits de 1er choix pour donner toute satisfaction aux consommateurs. Son service de soupers froids est une nouveauté dont il se félicite.

Comme ses prédécesseurs, il mise sur la présence de musiciens de premier plan pour séduire les clients. Dès le vendredi 21 octobre, un quatuor d’artistes, très renommé, assure des concerts symphoniques dirigés par E. Ducreux, tous les soirs de 17 à 19 heures et de 20 à 23 heures. Les soupers froids promis s’avèrent excellents.

S'y succèdent des professionnels réputés : le fantaisiste Linck de l’Olympien de Paris et ses ombres, saynètes lumineuses augmentées de nouvelles attractions (13 décembre 1904), l’imitateur Delaunay, ancien du cirque Piège (21 janvier 1905) et M. Llobet, un phénomène de mémoire (12 avril).

En juin, et pour 8 jours, Jean Billebaud, fait appel à un chansonnier montmartrois, Virgile, qui revient à Moulins, fort de son succès quelques mois auparavant. Il est entouré d’une troupe renouvelée dont Madame de Warens, cantatrice de l’opéra de Bordeaux, et le compositeur Jules Godart*, ex-chef d’orchestre des concerts du Ranelagh. Les 11 et 12 juin, un apéritif-concert est réservé aux familles.

Le 12 septembre, Petit Polyte et sa femme, un couple au grand cœur (voir mon article à leur sujet), y font étape. Le « Mimophone », ses chansons comiques, récitations et son théâtre plaisent grandement aux clients qui constatent que son excellente réputation n’est pas exagérée.

Fin octobre marque le retour des concerts symphoniques E. Ducreux à l’apéritif et le soir, comme un an plus tôt. L’orchestre est composé d’un 1er violon, 1er prix du conservatoire de Paris, une contrebassiste et une pianiste.

Une autre soirée, signalée dans la presse locale, le vendredi 15 mars 1906, est animée par les sonneurs Kernevel (dont Fernand, 1er prix de conservatoire exécutant ses œuvres). Ce sont des joueurs de biniou et de bombarde. Le barde Lannegui (Fernand de Sternac) chante l’Armor, de quoi faire rêver les Bourbonnais.

Jean Billebaud est aussi impliqué dans la vie moulinoise par ses participations aux courses de Moulins. Plusieurs prix du Grand café des Négociants sont courus à l’hippodrome. Il les dote de très généreuses récompenses tels des objets d’art ou d’utilité militaire dont la valeur va de 100 à 500 francs (d’après le convertisseur de l’Insee, 100 francs équivalent à 426 de nos euros).

Malheureusement, l’affaire de Jean Billebaud n’aura pas duré deux ans malgré ses efforts pour recruter des artistes de qualité. Le lundi 2 avril, le tribunal de commerce se réunit pour examiner le bien-fondé des créances qui pèsent sur le café des Négociants.

Dès le 8 avril, l’annonce parue dans le Courrier de l’Allier ne laisse aucun doute aux lecteurs :

A vendre par adjudication

En la Chambre des notaires de Moulins, rue Diderot, n° 15

Le jeudi 28 juin 1906 à une heure du soir

Un fonds de commerce de limonadier

Connu sous le nom de café des Négociants

Situé à Moulins, place d’Allier, n° 60 et 62

Comprenant : la clientèle, l’achalandage, les marchandises et le droit au bail.

Entrée en jouissance du jour de l’adjudication.

MISE A PRIX pour la clientèle, l’achalandage, le matériel et le droit au bail : 25 000 francs.

 

L’adjudication est finalement ajournée et reportée au 2 août. Aux premiers jours de janvier 1907, le tribunal de commerce délibère sur la liquidation judiciaire du café.

Cela ne signifie pas sa fermeture immédiate. Le café change de propriétaire et Léon Brière en devient propriétaire et reprend les animations distrayantes dès le 25 janvier. Cette fois, c’est une soirée « chatnoiresque » qu’on peut par conséquent imaginer égaler la qualité du cabaret parisien : les Excelsior’s des cabarets de Montmartre dans les dernières actualités politiques, Mme Marguerite Fonty du théâtre moderne (fine diseuse des derniers secrets de Potinville). L’entrée est libre.

Mais, l’établissement subit un autre coup du sort avec le décès de Léon Brière, le 1er mai 1908. Il n’avait que 48 ans. A la fin de l’année 1909, « le plus beau café et le mieux situé de la ville » est à vendre aux enchères publiques. Et trois ans plus tard, en 1911, le recensement de la place d’Allier, aux n° 60 et 62 mentionne la famille Marconnet dont le père est concierge au Comptoir national d’escompte de Paris. C’en est fini du café des Négociants.

Toutefois, une statuette perchée dans la niche d’une cheminée au 60 de la place d’Allier, pourrait bien être le discret témoin de son existence. Un soldat à califourchon sur un tonneau serait-il un clin d’œil à ceux qui fréquentaient assidûment l’endroit et ne devaient pas rechigner sur les verres à boire ?

 

Louis Delallier

 

* Jules Godart (1877-1909), surnommé le Grand Blond ou le Doré, 1er prix avec grande distinction des conservatoires de Mons et Bruxelles, ténor à la voix riche et puissante, est mort au Vésinet en pleine ascension. L’ancienne maîtresse d’un couple d’amis, voulant se venger d’eux, s’est trompée de cible… Jules Godart venait tout juste de signer un contrat au Manhattan Opera House de New-York.

Photo Louis Delallier

Photo Louis Delallier

Monogramme du Comptoir national d'escompte, toujours visible rue des Bouchers à l'arrière de la place d'Allier (Photo Louis Delallier)

Monogramme du Comptoir national d'escompte, toujours visible rue des Bouchers à l'arrière de la place d'Allier (Photo Louis Delallier)

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