Les frères Bourdet
Valentin et Georges Bourdet sont nés dans la Creuse, à Naillat, en 1888 et 1892. Leur père est cordonnier, puis facteur. Après la mort de leurs parents, Valentin devient le tuteur de Georges qui est élevé à Moulins au 91 rue de Paris par monsieur Aumaître, un membre de leur famille. Valentin apprend le métier de boucher et Georges celui de menuisier.
Georges est le premier à s’engager en 1914. Il entre dans la cavalerie. Blessé dès le 5 octobre 1914 et déclaré inapte, il obtient son admission dans l’aviation et devient pilote. Il commence par être bombardier où il s’illustre au point de recevoir deux citations. Son rêve de piloter des avions de chasse se réalise peu après. Il se comporte très vite en héros au cours de raids à grande distance en 1915 et force l’admiration et le respect de tous.
« Pilote exemplaire, d’un entrain et d’un dévouement exceptionnels. Passé dans l’aviation de chasse après s’être distingué dans tous les grands raids de bombardement, s’est affirmé aussi endurant qu’audacieux, livrant chaque jour de nombreux combats. Le 10 novembre 1916, après une lutte acharnée, a abattu un avion ennemi, ramenant son appareil criblé de balles».
Vainqueur de quatre Allemands « homologués », en réalité de 15 ou 16, l’adjudant Bourdet est décoré de la médaille militaire, de la Military cross et de six palmes. Mais alors qu’il s’apprête à remporter une 5ème victoire officielle, il doit faire face à six avions ennemis et il est abattu à 20 km dans les lignes allemandes, au-dessus de Saint-Maurice dans la Meuse, le jeudi 3 janvier 1918.
Cette histoire serait presque banale dans ce contexte guerrier s’il n’y avait pas eu sa folle tentative de sauver son frère aîné en septembre 1917. Aviateur lui aussi, maréchal des logis, Valentin est contraint d’atterrir en territoire hostile le 21 septembre 1916. Il est fait prisonnier sur les bords du Rhin.
Les deux frères vont correspondre pendant six mois pour mettre au point un plan aussi invraisemblable que risqué. Certaines de leurs lettres, écrites sur du papier de soie, sont passées en cachette par des Suisses. Des cartes postales sont aussi échangées, remplies de nouvelles à l’apparence normale pour les gardiens, mais porteuses d’informations précieuses pour les frères.
Valentin arrive à se faire envoyer dans une ferme comme ouvrier agricole à 30 km du point de rendez-vous. Depuis la fenêtre du train, il étudie les lieux. Lorsque tous les détails sont réglés, Georges sollicite et obtient l’autorisation du futur maréchal Pétain de tenter l’aventure, la seule de ce type répertoriée dans les annales de l’aviation.
Le dimanche 30 septembre 1917, à 5h 20, il s’envole dans son biplace Spad par une brume épaisse qui l’oblige à se poser trop tôt. Il redécolle vers 9 heures profitant d’une petite éclaircie. Il parcourt plus de 80 km au-delà des lignes allemandes. Grâce à une préparation minutieuse, il trouve l’endroit prévu sans difficulté. Il atterrit et attend pendant sept interminables minutes. Le danger est partout et son moteur chauffe trop. Il n’a plus le choix. Il lui faut repartir, désespéré, sans son frère.
Valentin, lui, a pris tous les risques pour s’évader et couvrir les 30 km à pied en se cachant. C’est l’ouverture de la chasse, les coups de feu des chasseurs, les chiens compliquent son avancée. Il reste à couvert ne croyant pas que son frère viendrait. Dès qu’il entend le moteur, il court en laissant des papiers blancs, des draps, des morceaux de journaux pour se faire repérer d’en haut. Mais il ne voit finalement que l’avion redécoller et passer tout près de lui, parfois à moins de 30 mètres dans les virages. Malheureusement, Georges n’est pas du bon côté. Valentin met le feu à ses papiers, feu qui ne commence à prendre qu’après le départ de son sauveteur. Georges rentre seul à la base, à 11h 10. Une panne l’empêche de revenir le lendemain. Le mardi, il retourne survoler le coin en rase-mottes pendant un quart d’heure dans le brouillard. Peine perdue encore une fois. Valentin est parti vers Bâle la veille après avoir encore attendu jusqu’au matin. Il réussit à marcher 20 km dans des conditions terribles. Il a de la fièvre, perd un soulier et doit s’avouer vaincu. Arrêté, il s’évadera une deuxième fois pendant son transfert à Karlsruhe. Il traverse la Forêt noire (150 km) en plein hiver et se fait attraper à 10 mètres de la Suisse. Son nouvel emprisonnement lui apporte des mauvais traitements, des privations de nourriture plus sévères, et un passage en conseil de guerre. Il parvient à se défendre assez adroitement pour gagner un supplément d’enquête avant l’exécution. L’armistice le sauve. Mais, le 3 janvier précédent, Georges est mort au combat.
Valentin Bourdet, devenu commissaire de police à Paris (d’après la plaque de sa pierre tombale), décède en 1978, à 90 ans. Il est titulaire de la médaille militaire, de la médaille des évadés, de la médaille d’argent de la reconnaissance française et de la Légion d’honneur.
Dans la revue belge du 1er juillet 1928, on peut lire ses impressionnants souvenirs de guerre.
Louis Delallier