Personne ne peut manquer les affiches qui annoncent le grand carnaval moulinois de février 1933. On en trouve jusqu’à 100 km à la ronde.
Les souscriptions sont ouvertes chez les commerçants Delaume rue d’Allier, Despérier rue de l’Horloge, Dauphin 64 place d’Allier, Vidard rue de Lyon, Mus rue d’Allier, ou au Syndicat d’initiatives, 3 rue Bréchimbault, qui assure la permanence du Comité des fêtes. Les jeunes qui veulent prêter leur concours, rétribué, au défilé doivent s’inscrire chez Mus, opticien rue d’Allier. Le comité a aussi besoin de vendeurs de programmes et de chansons. Cette entreprise de grande ampleur requiert des bras et n’autorise guère les approximations.
Même les magasins se sont mis à l’heure carnavalesque en proposant des serpentins, confettis, masques, rubans noirs et roses qui sont les couleurs imposées cette année-là. L’affichage des couleurs en vitrine évitera ainsi toute contestation, car on ne plaisante pas avec la règle pour la participation à la redoute du samedi soir. Les robes devront être à la fois noires et roses (une robe noire sera agrémentée de ceinture, nœud, jabot, épaulettes ou autre garniture rose bien visible - inversement pour une robe rose). Les robes entièrement roses ou noires ne seront pas admises. Les habits de soirée auront un revers rose ou une autre garniture rose. Aucune robe de ville ou aucun complet ne sera accepté. Les Pierrots seront noirs avec boutons de collerettes roses (ou roses avec boutons et collerettes noires) et les Arlequins noirs et roses. L’harmonie exigée impose des limites strictes à la fantaisie.
Trois commissaires, habitués de ces organisations, venus de Vichy, Nice et Paris remplaceront le comité d’accueil et seront seuls juges pour refuser l’entrée à toute personne qui ne serait pas travestie ou en tenue de soirée aux bonnes couleurs. Même le programme est édité en noir et rose !
La fête commence vraiment par ce grand bal noir et rose de la soirée du samedi 25 février. Carnaval V accueille ses sujets en grande pompe au théâtre municipal. La reine de Moulins, Julia Cerveau, au bras du président du comité des fêtes, monsieur Marquais, l’assistent. Le professeur Piccard’o* et son cortège font sensation. Tout n’est qu’élégance et courtoisie dans les groupes des artistes peintres, des gars de la marine, des vendeurs de journaux, des Mexicains et Mexicaines, des Espagnoles, des Slaves, des Asiatiques, etc. Le grand orchestre de monsieur Lavautte accompagne les danseurs à qui il en a coûté 30 francs par personne. Les souscripteurs ont pu, eux, entrer gratuitement. La salle brillamment décorée est l’œuvre conjointe du Comité des fêtes, de la compagnie d’électricité, de messieurs Merlin, Laforêt et Spizzi. Une voiture équipée du « cinématographiste » filme et photographie pour la postérité qui, malheureusement, n’en a pas gardé la trace. Les lampions s’éteignent au lever du jour.
Le lendemain dimanche, sous un ciel tout bleu, et avec un vent assez froid, la grande fête populaire commence à 10 heures par un concours de bredignots (un simple d’esprit en patois bourbonnais). Trois jurys siègent au café Barthélémy, place de la Gare, au café Taque, place du théâtre et au Grand café place d’Allier entre 10 h et 11h 15. Seuls les groupes humoristiques, burlesques ou satiriques de trois personnes sont admis à concourir. Les prix seront remis en fin de journée à la terrasse du café Barthélémy après la bataille de confettis.
Pendant que les bredignots redoublent de pitrerie pour convaincre les membres du jury, le professeur Piccard’o et des délégués officiels sont reçus par les représentants du comité des fêtes qui les convient au vin d’honneur servi au café de Paris à 11h 30.
Mais le moment le plus attendu par la foule est la mascarade dans les rues dont le cortège commence à se former rue de Bourgogne à 14h 30. On remarque immédiatement la reine de Moulins et la reine de la Boulangerie de l’Allier entourée de leurs demoiselles d’honneur trônant sur un char. Le défilé met une heure à parcourir la rue de Bourgogne, la rue d’Allier, la place d’Allier (tour complet), les rues de Pont, de Wagram, de la Flèche, de l’Horloge, François-Péron, Diderot, Voltaire, d’Allier, Girodeau, l’avenue Théodore-de-Banville avant de se disloquer devant la gare. Au milieu des chars, on peut voir et entendre la fanfare de Dornes dirigée par Monsieur Vannereau, la clique de la Lyre (M. Robert), la fanfare d’Yzeure, la fanfare bredignote, le Select Jazz (M. Lavautte) et d’autres non moins fameux musiciens. Une grande bataille de confettis sur la place de la gare permet aux spectateurs de participer activement à la fête.
Chars :
Démonstration terrienne de la guerre sous-marine
Cirque portatif
Le retour du vainqueur
Professeur Piccard’o en noir et rose avec son matériel et tout son personnel
La gondole royale avec la reine de Moulins et ses demoiselles d’honneur
La police des routes, pour les automobilistes et les cyclistes
Musique moderne, humour et actualité pour ceux qui aiment la danse
Les becs fins, régionaliste et gastronomique
Carnaval V, fantasia royale, avec une cavalerie romaine et César en toge et casqué
Les gars de la marine, pour le développement du goût de la mer chez les gens de l’intérieur
Le Yoyoteur préhistorique Diplodocus de 17 mètres de long avec tête pouvant s’élever à 8 mètres
Le sous-marin de Port-Barreau, reconstitution de l’époque où l’Allier était navigable
Char des Mexicains et des Mexicaines
Char de la boulangerie
Les rois fainéants avec une voiture à âne et deux bottes de paille.
Les enfants sont conviés à un bal à 16 heures au théâtre municipal (3 francs pour les enfants et 5 francs pour les adultes - tous les enfants devront être accompagnés).
A 18 heures, juste devant le théâtre, le ballon du professeur Piccard’o s’élève dans les airs malgré une déchirure de la toile. Il espère pouvoir atteindre la lune et en rapporter un quartier. L’histoire ne dit pas s’il y est parvenu, mais il semblerait que non.
A 21 heures, la reine convie la population (contre une entrée de 10 francs) à son deuxième grand bal de carnaval au théâtre. Le buffet (25 francs par personne) a été confié à M. Paudos du café de France, comme l’année précédente. Le champagne servi est de grande qualité. Il s’agit du champagne Jacquesson et fils (maison fondée en 1798 et médaillée d’or de Napoléon 1er).
Pendant toute la matinée, sur la place d’Allier spécialement aménagée, des jeux se déroulent avec inscriptions préalables. Les nombreux prix atteignent la valeur de 350 francs).
Au programme :
10 heures, course aux tonneaux pour les enfants de 7 à 12 ans
10h 20, course aux œufs en deux séries
10h 50, course en sac pour les enfants de 7 à 12 ans.
11h 20, course à la valise
11h 30, jeu du gourmand
11h 50, Course à ânes sur l’ « ânodrome » de la place d’Allier avec ses 800 mètres d’obstacles. La société d’encouragement à l’élevage des ânes a donné des diplômes qui sont remis en plus des 50 francs pour le gagnant, des 30 francs, 25 francs et 20 francs pour les placés.
Résultats du concours de bredignots :
- Les Doubles simples
- Ski Sport bien
- Tom Bouc Tout Jazz
- Citrons pressés
- Cirque O-Poil
- Les gaités de l’escadron
- Ko Ko Puck Clowns
- Jazz Ding
- Purottins frères
- Les nounous en bordée
- Monray Hari, sultan des bredignots
- Bredignots Circus
- La Famille Pige-moi-ça en villégiature dans le Bourbonnais
- Bredignot Briquabraque, chants d’habits
Lundi soir, un défilé lumineux, qualifié de féérique, est organisé grâce au concours d’électriciens moulinois professionnels (MM. Alès, Bathelet, Léon Boyer, Guillaumin, Raimbault et Merlet). Précédé d’une troupe de Pierrots portant des flambeaux, les chars, éclairés, reprennent du mouvement, accompagnés par les sapeurs-pompiers, la fanfare de Neuilly-le-Réal (M. Courtinat), le Select-jazz (M. Lavautte), la clique de la Lyre, les reines et leur suite et les notabilités les plus connues de l’époque malgré la pluie fine. Le rassemblement a lieu rue François-Péron pour un départ de la place de l’hôtel-de-ville en direction des rues de l’Horloge, de la Flèche, des Couteliers, de la place Cortet, des rues Gambetta, Datas, de la place d’Allier, de la rue Mathieu-de-Dombasle, de la place aux Foires, des rues de la Fraternité, Régemortes, Blaise-Pascal, de la place d’Allier, des rues de Pont, de Wagram, Bréchimbault, du cours Jean-Jaurès, de la rue d’Allier et de la place d’Allier, à nouveau. Un vin d’honneur clos la cavalcade au café de France place d’Allier.
Mardi gras n’est pas en reste d’amusements. Les bureaux et les entreprises sont fermés l’après-midi pour que chacun en profiter. En effet, dès 14 heures, rue de Lyon, arrivent les belles Bourbonnaises, les reines de Moulins et de la boulangerie de l’Allier et leurs dauphines prêtes pour la parade qui emprunte les rues des Couteliers, de la Flèche, de l’Horloge, François-Péron, Diderot, le cours Jean-Jaurès, les rues d’Allier, de Pont, de Wagram, Bréchimbault, le cours du théâtre, la rue d’Allier, et la place d’Allier avant l’éparpillement et une belle bataille de confettis. La musique ne fait pas défaut cette fois encore grâce à la participation de l’Espérance d’Ygrande (M. Falenchère), l’Union musicale de Lurcy-Lévis (M. Bernadat), l’Avenir de Neuilly-le-Réal (M. Courtinat), la Lyre moulinoise et sa clique (M. Greffier), le Select Jazz (M. Lavautte), la Fanfare bredignote, etc.
À 19 h, les personnalités se retrouvent à l’hôtel du Dauphin où un banquet réunit les éminents membres du comité des fêtes, les reines et leurs suivantes. On regrette l’absence de monsieur le préfet et de monsieur Boudet, maire de Moulins ce qui n’empêche pas d’apprécier la qualité des mets cuisinés par le chef du Dauphin.
L’orchestre Lavautte ouvre le bal à 21h au théâtre municipal (entrée 20 francs) et garde les danseurs en haleine jusqu’à 2 heures du matin.
Le comité des fêtes ne peut que se féliciter du travail accompli et savourer l’aboutissement d’un travail de préparation de presque une année qui a reçu un excellent accueil populaire. L’organisation sans faille est due à monsieur Chatron, le « deus ex-machina » comme on le surnomme, et à messieurs Plumet et Variclier. Les remerciements sont adressés aussi à : l’association commerciale et industrielle, la maison Col (confection et don des toilettes de Vénitiennes pour la reine et de ses demoiselles d’honneur), les maisons Verdier, Pierre et Léon qui chaussèrent les jeunes filles, les Nouvelles galeries, les établissements Crouzier, la Société des courses, les tanneries Sorrel, le Casino de Saint-Étienne, la maison Désamais, la Compagnie électrique, la Préfecture, la Chambre de commerce, la Banque de France, la Compagnie du P.L.M., Ychard et Lory (bonneterie-chemiserie), Marquais, Perrier, Delaume, Darnat, Mme Petitjean, Macquaire, Legrand (photographe).
Ne sont pas oubliées, les maisons Merlin (tapissier), Spizzi (miroitier), Laforêt (horticulteur), Soulier (serrurier) pour la salle de bal, Démonet (luthier) pour le prêt d’un piano, Buffet frères, Vidard, Chalmin, Topenot Reigneron, Dubois, brasserie Schneider qui assurèrent les transports. MM Dauphin, Galfione (peintre décorateur), Durantin, Falgairou furent les réalisateurs des chars montés à Moulins. Marie-Thérèse Plumet confectionna les chapeaux.
Toute fête ayant sa part charitable, le comité a versé une somme suffisante pour la distribution de viande aux malheureux de la ville.
*voir mon article sur le vrai professeur Piccard.
Louis Delallier