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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Une très longue attente pour le jeune élève-pilote

Publié le 14 Mars 2021 par Louisdelallier in Aviation

Les Ailes, journal hebdomadaire de la locomotion aérienne, du 31 décembre 1936

Les Ailes, journal hebdomadaire de la locomotion aérienne, du 31 décembre 1936

Marcel Nouvian, 20 ans, apprenti pilote à l’école d’aviation de Bourges, alors dirigée par monsieur Dabard, doit se perfectionner en accomplissant, seul à bord, un exercice qu’il appréhende terriblement : atteindre 1 500 mètres d’altitude avec son avion et redescendre en coupant les gaz.

Le temps est calme en ce début d’après-midi du mardi 1er décembre 1936. La météo annonce « nuages étagés irrégulièrement entre 1 200 et 1 800 mètres avec sept dixièmes de ciel bleu. Léger vent d’ouest ». Marcel s’installe dans le cockpit en se répétant les consignes strictes données par l’instructeur. Le F-AOLS monoplan de transformation Hanriot H-192 à moteur Régnier de 180 cv vrombit et c’est le décollage. Les 1 400 mètres sont atteints sans anicroche. Il y a bien ces quelques petits nuages. Mais il ne reste que 100 mètres. Alors tant pis ! malgré la « défense de pénétrer dans un système nuageux », Marcel entre dans le gros nuage qui lui fait face.  Il perd alors la piste de vue et tente de vaines échappées vers le ciel bleu. Il amorce la descente, mais l’aiguille du manomètre monte, monte. A 260, danger ! Marcel tire sur le manche. 120, 100, 80, 60 ! Maintenant, il risque de mettre l’avion en vrille. Quand la poussière du plancher de l’avion lui tombe dessus, il comprend qu’il a la tête en bas. La panique s’empare de lui. Il ne sait plus où il est. Il faut sauter immédiatement.

En douceur, Marcel rejoint le plancher des vaches suspendu à son parachute, un Aviorex 902, au lieu-dit du Porche à 3,5 km à l’est du terrain d’aviation.

Là, deux versions diffèrent. L’une parle d’un paysan qui s’approche de lui et s’inquiète de son état avant de demander si le pilote est parti prévenir la base pour que quelqu’un vienne le récupérer dans le champ... L’autre parle d’un motocycliste de passage qui, après l’avoir aidé à replier son parachute, l’emmène à l’arrière de sa moto jusqu’à l’aéroport. Là, Marcel, penaud et très inquiet, est sermonné sans ménagement. Le mépris des consignes de vol est inacceptable. Il ne fallait pas entrer dans les nuages. Il aurait fallu réduire les gaz. La colère est aggravée par le risque gravissime que représente un avion livré à lui-même en plein ciel. Comme il reste environ 65 litres de carburant, le temps de vol est estimé à une heure. Une très longue heure !

Les gendarmeries sont alertées, y compris celles de l’Allier, de la Nièvre, de la Creuse et de l’Indre.

Et pendant cette interminable attente, l’avion continue sa course. Lorsqu’il est sorti des nuages, il décrit plusieurs cercles larges autour du parachute de l’infortuné pilote avant de se diriger à l’est vers Nevers, puis au sud en direction de l’Allier. Vers 16 heures, il apparaît au-dessus du château de Saint-Augustin appartenant à la comtesse Roland d’Arbourse, soit à plus de 68 km de Bourges. Alors qu’il n’est plus qu’à 20 mètres d’altitude, il remonte à 200 mètres, puis descend en spirale avec des ratés. Son réservoir est vide. Il tombe dans les bois de la Brunanse proches du château.

On imagine l’émoi des témoins de la catastrophe. Une équipe composée de membres du personnel du château et de paysans s’empresse de partir à la recherche de l’appareil. Le père Anthelme assure avoir vu le pilote agiter les bras par le hublot en appelant au secours ! au secours ! Il ne faut pas perdre de temps car la nuit tombe. Après beaucoup d’allées et venues à la lueur des lanternes, les sauveteurs sont alertés par une forte odeur de tétrachlorure qui les guide vers le point d’impact. L’avion s’est disloqué parmi les grands chênes à 2 km à l’ouest de Saint-Augustin. Le fuselage est éventré, l’aile droite sectionnée, le réservoir d’huile crevé. Le moteur a été éjecté à 32 mètres. On s’approche de la cabine silencieuse la gorge serrée. Elle est vide. Tout y est en ordre. Les ceintures sont détachées. On espère que le pilote a eu le temps de sauter car on ne trouve pas de corps aux alentours. Les gendarmes de Lurcy-Lévis font les premières constatations avant d’être appelés de toute urgence au château vers 19h 15. Madame la comtesse leur annonce qu’elle a pris l’initiative de téléphoner à l’aéroport de Bourges pour demander s’il ne manquait pas un appareil. Elle ajoute qu’on s’y est d’abord inquiété de savoir s’il y avait des blessés au sol car l’avion n’avait plus de pilote. Après le soulagement général, c’est la stupeur. Comment cela a-t-il pu se produire ?

Les restes de l’avion sont transférés à Bourges pour une enquête technique minutieuse menée par Marcel Haegelen*, chef pilote des avions Hanriot. Après le quart d’heure de pilotage de Nouvian, les presque 60 minutes de vol libre sont décomposées comme suit :

  • 32 minutes d’une lente montée jusqu’à 1 100 mètres
  • 6 minutes de descente à 700 mètres
  • Remontée jusqu’à 1 100 mètres sans doute causée par des éléments extérieurs comme la pluie
  • 15 minutes de déplacement horizontal (pente presque nulle de 0,50 m par 100 mètres)
  • Retour vers la terre faute de carburant.

Monsieur Huguet, directeur des ateliers Hanriot, constate que l’engin a réalisé une performance remarquable et qu’il a ainsi été involontairement démontré, et heureusement sans perte humaine, qu’il pouvait naviguer en atmosphère agitée avec les commandes lâchées sans accuser de faiblesse de stabilité transversale.

Toute la presse nationale en a parlé et Les Ailes, journal hebdomadaire de la locomotion aérienne, du 31 décembre 1936 a consacré un long article à cette mésaventure.

 

Louis Delallier

 

* Marcel Haegelen (1896-1950), ancien as de la Grande Guerre.

 

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A
Merci de nous faire partager cet incroyable fait divers
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