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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Un mariage en comité très restreint

Publié le 26 Décembre 2021 par Louisdelallier

Acte mariage Dupuy-Boulétreau 9 décembre 1905 (Sources registres d'état-civil de Moulins)

Acte mariage Dupuy-Boulétreau 9 décembre 1905 (Sources registres d'état-civil de Moulins)

1905, le samedi 9 décembre, vers 15 heures, il ne fait pas froid en cette fin d’automne. Le calme des abords de la cathédrale est à peine troublé par l’arrivée d’une voiture à cheval fermée qui s’arrête devant la porte de la Mal-Coiffée, alors prison. Le cocher descend immédiatement et sonne à la porte d’entrée qui est ouverte prestement car on l’attendait. Un couple sort serré de près par deux gardiens en civil. Tous les quatre s’installent sur les banquettes du véhicule face à face. Une fois la porte soigneusement refermée, les voyageurs prennent la direction de l’hôtel de ville à 200 mètres environ, sous la surveillance de deux policiers municipaux à pied.

La voiture est garée dans la cour intérieure de la mairie au plus près de l’escalier qui conduit au grand salon. Le couple, toujours bien gardé, gravit les marches jusqu’à la salle des mariages, pour convoler comme tout un chacun.

Alexandre Dupuy, 31 ans, marchand de tissus forain et Mathilde Boulétreau, 23 ans, résidant en temps ordinaire à Gannat, faubourg des Jonchères, sont unis par Edmond Gondard adjoint dans une salle quasi déserte. En effet, les témoins Claude Paquet, 39 ans, et Félix Roux, 40 ans, gardiens de prison, Louis Jouannais, 37 ans, et Joseph Blanc, 31 ans, agents de police constituent la seule assistance autorisée. Les jeunes mariés, tout sourire, ont, dit-on, belle allure dans leurs vêtements civils qu’ils sont autorisés à porter jusqu’à l’issue de leur pourvoi en cassation. Le livret de famille est remis à Monsieur. En bas de l’escalier, une cinquantaine de curieux s’est massée pour les voir redescendre et remonter dans leur voiture particulière.

Une fois leur logis carcéral regagné, ils ne bénéficieront d’aucun privilège et ne se reverront qu’à leur sortie. Alexandre Dupuy a toutes les chances de voir sa peine de 5 ans de travaux forcés commuée en 5 ans réclusion. Mathilde, quant à elle, doit passer 3 ans sous les barreaux.

Ils ont été condamnés ensemble par la cour d’assises de l’Allier le 27 octobre précédent pour banqueroute frauduleuse et complicité.

Les démêlés d’Alexandre avec la justice remontent au 19 mai 1903 avec la mise en liquidation judiciaire de ses affaires par le tribunal de commerce de Saint-Jean-d’Angély. Installé avec Mathilde à Gannat, il passe commande de stocks très importants de tissus qu’il écoule sur les marchés des environs. Jusqu’en octobre 1904, les fournisseurs sont dument payés, ce qui explique qu’ils ne se méfient pas quand les commandes affluent. Mais un autre personnage est alors à la manœuvre comme employé. Les ventes se font au poids sur les marchés de Vichy et de Beaune, très en dessous du prix réel de la marchandise. En décembre, il est grand temps pour Alexandre de prendre la route avec sa voiture à cheval. Mathilde le suit de près emportant les 14 000 francs récoltés. René Berthaud, le troisième larron, est reparti à Vesoul auprès de sa femme et de ses 5 enfants. Finalement, tout ce petit monde se regroupe au Mans au début de l’année 1905.

Ils n’échapperont pas à la justice puisque, le 27 octobre, le tribunal moulinois leur demandera des comptes. Alexandre Dupuy, portant avec élégance un complet veston beige à la mode et de fines bottines jaunes reconnaît les faits en soutenant qu’il n’a jamais envisagé de ne pas payer ses dettes. S’il n’a pas pu le faire, c’est à cause de Mathilde qui lui a tout pris… Il raconte avec humour les difficultés et les kilomètres parcourus pour la retrouver après leurs départs décalés de Gannat : Cognac, Tours, Angoulême, Vesoul, avant Nevers où enfin il la rejoint. Elle n’est pas seule malheureusement. Il lui passe alors par la tête le très fort besoin de la tuer avec son revolver, besoin vite chassé par tous les bons souvenirs avec elle. La filouterie n’aboutira pas à un drame. Il reste quand même les 14 000 francs sur lesquels Mathilde prélève 6 000 francs pour l’achat d’un fonds de café au Mans.

Mathilde, habillée avec soin également, confirme les dires d’Alexandre. René, « l’associé » en malversation, 45 ans, vêtu n’importe comment, réfute toutes les accusations, ses quatre condamnations antérieures ne plaidant toutefois pas en sa faveur. Trois avocats, maîtres Chirol, Mathivon et Guy-Coquille défendent leur client respectif avec tout leur savoir-faire. Les peines sont de cinq ans de travaux forcés et 3 ans de prison comme indiqué plus haut. René Berthaud, contre toute attente, obtient l’acquittement.

La cour de cassation renvoie l’affaire devant la cour d’assises du Puy-de-Dôme à Riom pour absence dans le jugement de Moulins de la mention du délibéré sur la peine accessoire de l’interdiction de séjour. Le 17 février 1906, la cour décide de ne pas appliquer l’interdiction de séjour à un Alexandre Dupuy, à nouveau gravure de mode dans sa fourrure, défendu par maître Boudet.

Avant l’épisode bourbonnais, Dupuy avait déjà été condamné par les tribunaux d’Angoulême, Niort et Poitiers pour des motifs semblables. Incorrigible, il sera encore condamné par Saintes, Bordeaux, Cognac et Poitiers, ce dernier jugement l’expédiant à Saint-Martin-de-Ré le 12 juin 1914, ultime étape avant le bagne de Cayenne. Il embarque sur la Loire le 1er juillet. Sa fiche de bagnard indique plusieurs évasions de quelques semaines ou quelques mois. La dernière a eu lieu le 10 juillet 1921 sans information sur une éventuelle réintégration cette fois-là. Il meurt à Bordeaux le 14 octobre 1962 au bel âge de 88 ans malgré cette vie mouvementée.

Mathilde, divorcée d’Alexandre, se remariera à Cognac le 7 octobre 1911 avec Auguste Mesnet, fabricant de futailles.

 

Louis Delallier

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