La Mal-Coiffée fut une prison parfaite avec ses hauts murs épais, ses cachots souterrains et ses escaliers faciles à surveiller. Les prisonniers de la ville (peut-être détenus place de l’Ancien-Palais) y sont transférés entre 1777 et 1785. La Révolution et le coup d’état de Napoléon III y jettent successivement quantité de contestataires dans des locaux insalubres et surpeuplés. Les décennies suivantes n’apportent aucune véritable amélioration à cet état de choses. Le pire se produira le 19 juin 1940. Dès le lendemain de leur entrée dans Moulins, les troupes d’occupation réquisitionnent la Mal Coiffée. Elles en évacuent les prisonniers « ordinaires » et les surveillants vers d'autres prisons. La prison moulinoise devient en 1941 la seule prison française de la Wehrmacht gérée par des Allemands. Commencent alors des années de privations et de sévices administrés à ceux, majoritairement juifs ou soupçonnés d'appartenir à la Résistance, qui auront la mauvaise fortune de se retrouver derrière ses murs.
Les mitards en sous-sol sont le lieu idéal pour entasser hommes et femmes dont la plupart seront déportés. Les nombreux graffitis sur les murs ont été soigneusement préservés comme d’émouvants témoignages de cette époque impitoyable et des enfermements précédents. Ils sont les souvenirs, les espoirs, les sacrifices et les luttes de ceux que l’inexorable marche de l’histoire a écrasés.
À partir de la libération de Moulins, le 6 septembre 1944, les nouvelles autorités retiennent à la Mal Coiffée des personnes soupçonnées de collaboration. Puis les détenus de droit commun réintègrent le bâtiment le 15 janvier 1946. L’histoire carcérale du château des ducs ne s’achève qu’en 1984 avec l’ouverture du centre pénitentiaire d'Yzeure.
La Gazette constitutionnelle de l’Allier du 24 juillet 1829 nous apporte quelques éléments sur le quotidien alimentaire des prisonniers. Elle reprend le compte rendu de la visite de Benjamin Appert à Moulins dans les établissements de charité de Moulins et à la Mal-Coiffée. René Le Roy de Chavigny, préfet de l’Allier était son guide.
Benjamin Appert est partagé. Il ne sait pas s’il a tout vu et si les prisonniers ont été menacés pour ne pas dire la vérité. En effet, il existe dans ce type d’établissement une police secrète qui rapporte aux autorités la moindre conversation ou même le moindre regard. Le visiteur parisien a reçu, en particulier, tous ceux qui le désiraient malgré la longueur cumulée de tous les entretiens. Il constate que les prisonniers ne se sont pas plaints du régime intérieur subi et rappelle qu’une école d’enseignement mutuel aurait sa place à la Mal-Coiffée.
L’effectif est de 213 criminels et 601 correctionnels côté hommes, 110 criminelles et 141 correctionnelles côté femmes, soit 965 personnes pour une capacité de 1 020. Benjamin Appert souhaiterait que les femmes soient envoyées à Riom pour séparer les deux sexes ce qui serait préférable pour le bien du service.
La ration quotidienne par prisonnier est d’une livre et demie de pain de froment de première qualité, de 18 onces (510 grammes) de bouillon gras et de 5 onces (141 grammes) de viande désossée pour les jours gras. Le reste du temps, il est distribué une soupe au beurre et une grosse portion de légumes cuits (haricots ou pommes de terre) et un quarteron de fromage (125 grammes). La ration des malades est identique à celle des bien-portants et peut être modifiée ou remplacée par du riz, des œufs, des légumes verts, etc. sur ordonnance, du médecin.
En décembre 1891, le Courrier de l’Allier établi la comparaison entre les rations de 1829 et les rations contemporaines plus frugales :
750 grammes de pain, une soupe, le matin, légumes variés le soir. Le dimanche seulement, soupe grasse matin et viande avec légumes le soir. Le pain est de troisième qualité fait avec de la farine de froment ou mélangé avec des farines de céréales inférieures. La soupe est ordinairement composée de carottes, choux, navets du pays. Le beurre est remplacé par du saindoux. La ration des malades peut être modifiée selon les prescriptions médicales.
Louis Delallier
* Propagateur, en 1815, pour être utile aux classes pauvres, de l’enseignement mutuel dans le département du Nord et dans les écoles régimentaires, Benjamin Appert (1797-1873) enseigne dans ces dernières à la demande du ministère de la guerre. Mais, incarcéré en 1822 car soupçonné d’aide à l’évasion de deux détenus politiques, il décide de ne s’occuper que de l’amélioration du sort des condamnés et de l’état de prisons. Il publie de 1825 à 1830 le Journal des prisons, recueil de ses comptes rendus de visite aux établissements pénitentiaires de France et de ses idées de réforme. Membre du conseil royal des prisons en 1828, secrétaire des commandements de la reine Marie-Amélie (épouse du roi Louis-Philippe), il élargit son domaine d’activité à l’Europe où il visite prisons et établissements philanthropiques.
Il se sera insurgé contre le régime des bagnes et aura tenté de démontrer que la peine de mort et le marquage ne sont plus en harmonie avec les mœurs de son époque et que les châtiments barbares et les punitions perpétuelles ne corrigent personne.