Les causes d’incendie sont nombreuses en cette fin de XIXe siècle : feu de cheminée, lampe à pétrole renversée, produits inflammables dans les ateliers, les entreprises, les moulins*, etc. Les théâtres, les hôtels sont également des lieux à haut risque. Alors quand les grenades Labbé arrivent sur le marché, elles reçoivent un excellent accueil. Des démonstrations de leur efficacité sont organisées partout en France par la société parisienne L’Incombustibilité dont un des propriétaires est Édouard Labbé, ingénieur, à l’origine de l’invention.
Moulins accueille une première fois les représentants de la firme le lundi 20 juin 1892 (la seconde sera le 27 juin 1895). À 20 heures, plus de 2 000 personnes sont massées sur le pont Régemortes, sur la levée et au bord de l’Allier. Peut-être des représentants de la municipalité et des services de sécurité sont-ils présents également.
L’expérience se déroule en deux temps comme dans la plupart des villes visitées. Pour commencer, un long conduit en bois imprégné de goudron, rempli de copeaux arrosés de pétrole et simulant une cheminée, est enflammé. Une grenade Labbé y est lancée et éteint le feu aussitôt comme par miracle. Dans un deuxième temps, c’est une cabane en planches goudronnées tout aussi pleine de copeaux imbibés de pétrole qui flambe. Deux ou trois grenades viennent à bout de l’incendie.
Le journaliste du Courrier de l’Allier observe ces résultats remarquables auxquels, écrit-il, on peut se fier si l’on croit les nombreuses attestations qui figurent sur le prospectus… Des réussites sont régulièrement mises en avant dans la rubrique des faits divers des journaux nationaux ou régionaux. Certains sont moulinois. L’un concerne un incendie le 28 mai 1895 vers 11h 30 dans les sous-sols de la droguerie Bulliot rue de la Flèche. En plus des pompes à incendie, des grenades Labbé, dont le magasin est heureusement dépositaire, sont jetées dans le foyer. Début février 1900, une grenade Labbé permet d’éteindre très rapidement le feu dans l’un des bureaux de l’hôtel de ville. À la fin du mois d’octobre octobre, un feu de cheminée nocturne chez Mlle Anna Chomet**, 16 rue de l’Oiseau, est stoppé grâce à deux de ces grenades lancées par Louis Laroque, l’architecte voisin. L’aide de l’agent de police Laurent et d’autres personnes n’y est pas pour rien non plus.
Cet extincteur lançable breveté en mars 1889 est composé d’un flacon cylindrique en verre très mince pour se casser facilement. Il contient 600 cm3 d’un liquide jaune à l’odeur d’ammoniac qui produit des gaz en se répandant sur les flammes. À l’intérieur du flacon, est inséré un petit tube bouché à ses deux extrémités renfermant un liquide différent du premier. Le mélange intervient quand la grenade, lancée avec suffisamment de force, se brise au milieu du feu. Ces liquides sont inoffensifs, dégagent peu de gaz, ne brûlent pas, ne tâchent pas et se conservent indéfiniment. La grenade ne requiert pas d’entretien ni de manipulation préparatoire. Elle ne se détériore pas et évite les dégâts causés par l’eau habituellement utilisée pour éteindre les feux. Elle est présentée comme l’appareil de secours le plus sûr, le plus rapide et le plus efficace pour les commencements d’incendie. Elle est recommandée aux commerçants, industriels et même aux particuliers. Son prix modique (40 francs la douzaine) est toujours remboursé par la compagnie d’assurance en cas de sinistre.
Les expériences sont reçues avec beaucoup d’enthousiasme par le public (par exemple Dijon en septembre 1889, Courbevoie, Saint-Quentin en février 1890, Reims en novembre 1892, Rochefort-sur-Mer en mai 1893, Laval fin juin 1896, Saint-Étienne en décembre 1905). Des institutions locales se montrent nettement plus frileuses comme en témoignent les refus des conseils généraux de Haute-Vienne (janvier 1892), de Haute-Saône, du Doubs et de l’Eure (août 1892) qui ne souhaitent pas en équiper les bâtiments départementaux à cause de résultats peu concluants. Mais certains conseils municipaux se laissent tenter ainsi que le ministère des Colonies qui prescrit leur utilisation dans les possessions françaises d’Outre-mer en septembre 1894. Les compagnies de chemin de fer en ont pourvu des gares dont celle de Montluçon. Malgré le manque de recul, les responsables de l’exposition universelle de 1889 font répartir 3 500 grenades Labbé dans les pavillons. Elles auront permis d’arrêter trois débuts d’incendie. En août 1899, le conseil général de la Sarthe accepte, quant à lui, l’achat de trois grenades Labbé et d’un extincteur pour chacune des gendarmeries du département. On en parle encore en octobre 1937 au conseil général de Mayenne pour constater que leur efficacité est presque nulle.
Pour conclure, voici le menu du déjeuner de fête des pompiers de Clermont-Ferrand du 29 janvier 1893 au restaurant Hugon pour 76 convives :
Potage brûlant
Filet de soles, graisse de pompe
Lièvre des Alpes pompier
Vol au vent alsacien
Filet de bœuf Lorraine
Suprêmes de dindonneau à la lance
Salade incombustible
Choux-fleurs à la suie
Pêches Condé aux grenades Labbé
Croquantes au sulfure de carbone
Nougat à l’escalade
Gâteau national
Desserts et fruits
Vin à jet continu
Champagne explosif.
Louis Delallier
*Les filatures et les entreprises de tissage et de tricotage sont celles qui enregistrent le plus grand nombre de sinistres en 1893.
**Anna Chomet, 63 ans, rentière, est la nièce d’Hector Chomet, médecin, insurgé en 1851 et chanteur d’airs d’opéra aux lézards (voir mon article à son sujet).