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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Des vagabonds par dizaines

Publié le 28 Novembre 2021 par Louisdelallier

Le chemineau ou le vagabond de Jules Adler (1895-1952) - dessin de 1922 - Musée de Dôle

Le chemineau ou le vagabond de Jules Adler (1895-1952) - dessin de 1922 - Musée de Dôle

En ce mois de novembre 1890, le préfet de l’Allier, Pierre Vincent, prend un arrêté à destination de tous les maires du département. Il officialise les mesures à prendre contre la présence grandissante de roulants et de mendiants dont l’attitude bien souvent menaçante est la source de plaintes quotidiennes.

L’instruction est donnée à la gendarmerie et à la police d’arrêter tous les vagabonds rencontrés et de les déférer à l’autorité judiciaire. Ceux, non coupables de délits, seront remis en liberté et reconduits de brigade en brigade jusqu’aux limites du Bourbonnais. Les autres seront retenus pour être jugés. On parle de récompenser les cantonniers bien placés pour repérer et signaler des individus pouvant entrer dans cette catégorie. Une exception est toutefois tolérée pour les indigents mendiants, sorte d’habitués bien connus des habitants et des autorités. Des affiches sont placardées dans toutes les communes. Les particuliers peuvent même s’en procurer 100 pour 10 francs.

Et les choses ne traînent pas. À Moulins, quatre miséreux qui se sont retrouvés à l’auberge franchaise, place aux Foires (actuelle place Jean-Moulin), renommée pour son accueil « diversifié », sont appréhendés. Laurent, 37 ans, journalier d’Estivareilles, Jean, 54 ans, maçon, originaire du Cher, Auguste, 58 ans, cordonnier, né à Mende, et Joseph, 16 ans, marchand ambulant venu du Puy-en-Velay sont, dans la journée, conduits à l’audience des flagrants délits où on leur confirme leur mandat de dépôt.

Très vite, les gardiens de la prison sont débordés. Plusieurs fois par jour, ils doivent noter les identités et les objets détenus par les nouveaux arrivants qu’il faut, en outre, convaincre de se laver et à qui il faut préparer des repas et un couchage. Des effectifs supplémentaires sont demandés aux prisons de la région pour leur venir en aide. En attendant les renforts, l’agent Chégut a été désigné comme secrétaire du gardien-chef.

Entre le 17 et le 21 novembre, plus de 150 vagabonds sont incarcérés. Le jeudi 20, sur les presque 80 à être passés devant les magistrats, 22 ont bénéficié d’une relaxation en raison de leurs bons antécédents et ont été expulsés vers Dornes situé dans la Nièvre toute proche.

Le 21, les brigades de gendarmerie de Moulins, Souvigny, Dompierre, Le Montet et Neuilly-le-Réal en interpellent encore 28.

Pas étonnant que, le vendredi 5 décembre, le tribunal prenne des airs de jour de marché avec l’entrée bruyante de 38 d’entre eux accompagnés de gendarmes. Les cas sont traités les uns à la suite des autres sans perte de temps. C’est l’occasion de découvrir des casiers judiciaires bien fournis et d’appliquer, à la chaîne, les articles 271 et 275 du code pénal sur le vagabondage et la mendicité. Les condamnations de la journée s’étalent de 6 jours à 3 mois. Les prévenus adoptent un comportement bienséant inattendu. Huit feront appel.

A l’audience de la semaine suivante, ils ne sont plus que 11 à comparaître dont deux avec à leur actif respectivement 10 et 18 condamnations. Charles Charlier d’Auxerre reconnaît, lui, ses 25 condamnations : « J’ai de nombreuses condamnations, c’est vrai, mais aucune d’infamante. Et puis j’ai si bonne figure. » Malgré sa défense bon enfant, il écope d’un mois de prison et surtout d’une relégation* à la fin de sa peine. Maître Guays, avocat du nommé Cloarec, également récidiviste (13 condamnations dont 2 émanant du conseil de guerre), obtient un renvoi du jugement grâce à son argument sur les peines militaires non comptabilisables pour envisager une relégation*.

La fin de l’année se déroule dans le calme à Moulins. Les vagabonds ont disparu. Il reste une question en suspens : que se passerait-il si les autres départements appliquaient les mêmes dispositions de reconduite chez le voisin ?

 

Louis Delallier

 

* Le contexte social national évolue au cours du XIXe siècle. La IIIe république intègre la classe ouvrière et lui donne un statut à part entière dans la société. Elle se trouve ainsi distinguée du milieu de la prostitution, des pauvres, des chômeurs et des autres marginalisés. Mais la stabilité n’est pas encore suffisamment acquise et le phénomène du vagabondage est vécu comme une menace. Pierre Waldeck-Rousseau, alors ministre de l’Intérieur, initie la loi pénale instaurant la relégation votée le 27 mai 1885. Les condamnés récidivistes, considérés comme irrécupérables, sont internés à perpétuité dans une colonie ou une possession française tel le bagne de Guyane. C’est une façon radicale de régler le problème qui sera petit à petit remise en cause par certains de ceux chargés des jugements et par des intellectuels. La répression sera moins aveugle. On tiendra davantage compte des difficultés des « SDF » à entrer dans le monde du travail même s’ils y mettent de la bonne volonté et on les orientera davantage vers des institutions caritatives susceptibles de leur donner un appui.

Il existait un bottin des vagabonds Le Grand jeu (6 francs) et Le Petit jeu (3 francs) contenant une centaine de noms et d’adresses de gens charitables. Le Grand jeu donne en plus la profession de la personne charitable, les heures où on peut la trouver, sa religion, ses opinions politiques et ses habitudes.

Exemples : « Riche propriétaire ; donne facilement une pièce de 5 francs ; paye les loyers en cas d’expulsion », « Ne donne jamais d’argent, demander des vêtements », « Madame veuve C. ne s’occupe que des enfants. Demander une layette pour le baby et du linge pour la mère. On peut également obtenir des bons de lait cacheté pour l’enfant en disant qu’il est malade ». Ceux qui fournissent des renseignements reçoivent une petite rétribution de 50 centimes (Gil Blas du 10 octobre 1897).

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