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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Marius Boullard, un chef pour la Lyre moulinoise

Publié le 24 Janvier 2021 par Louisdelallier in Portraits

Cimetière de Moulins (Photo Louis Delallier)

Cimetière de Moulins (Photo Louis Delallier)

Ce mardi 28 avril 1903 marque un tournant, presque une fin, dans la vie de Marius Boullard consacrée à la musique. Une réception est organisée en son honneur au moment de son départ en retraite.

Les discours louangeurs de monsieur Advenier : « à tous les coins de France, vous avez fait retentir le nom de la Lyre moulinoise et de son directeur », de monsieur Laille, trésorier de la société et la remise d’un bronze de Lucien Coudray (prix de Rome), représentant Tahoser*, jeune fille à la harpe et portant la dédicace :

« La Lyre moulinoise

à son fondateur et directeur Marius Boullard

1863-1903 »

sont autant d’émotions fortes que Marius Boullard ne parvient pas à maîtriser. C’est avec des sanglots dans la voix qu’il remercie ses collègues de tant de gentillesse et de reconnaissance. Deux nouveaux directeurs ont pris la relève, messieurs Thomas et Belin. Après le vin d’honneur, Marius Boullard est raccompagné à son domicile de la rue Victor-Hugo par toute l’assistance, sans doute en fanfare.

Le Courrier de l’Allier y va, lui aussi, de son hommage : « Que de lyrons en ces 40 années ont défilé sous le bâton magistral de ce petit homme alerte et gai, vrai gamin de Paris, dont le grasseyement montmartrois semble démentir sa naissance méridionale. »

En effet, Marius Boullard** est né à Nîmes en 1826. Il prend ses marques à Moulins vers 1860 comme professeur de musique. De 1863 à 1865, il dirige l’Orphéon qu’il a créé (1er concert le 16 avril 1863 au théâtre municipal avec au programme Jules Brasseur père, célèbre comique du Palais-Royal). Les cours de solfège y sont gratuits et permanents.

Dès 1864, l’Orphéon n’hésite pas à se confronter à d’autres sociétés musicales en participant à quelques concours. Vers la fin de 1867, Marius Boullard ajoute à l’Orphéon une section harmonique et une symphonique :

 « La société philharmonique de Moulins » et « l’harmonie moulinoise ». Les trois fusionnent pour former la Lyre moulinoise composée de 110 musiciens. Elle offre son premier concert sous ce nom le 14 juin 1868. Les instruments sont achetés par souscription.

Au cours de sa longue carrière, la Lyre effectuera plusieurs tours de France musicaux et remportera de nombreux prix dont 4 premiers prix au concours international de Clermont le 29 août 1869, tous les prix en harmonie et orphéon à Chambéry en 1873. Elle passe dans la division d’excellence et la division supérieure

En 1893, Marius Boullard fonde l’école nationale de musique de Moulins qu’il dirige avec beaucoup de professionnalisme. Il y enseigne le violon. Il sera fait officier de l’instruction publique par monsieur Lavergne, président de la Lyre, qui lui remet un bijou créé par la maison moulinoise Artault, le 25 mars 1896.

Il partage son savoir sur la l’histoire de la musique auprès du public par le biais de conférences à la Société des connaissances utiles. En privé, il aime parler de littérature, peinture, numismatique ou encore d’antiquités.

Également compositeur, il écrit la partition musicale du Départ des Mobiles (paroles du typographe Cœur) qu’on joue, chante dans les concerts, les rues dès le mois d’août 1870 pour célébrer le départ en Algérie, le 21 septembre, du bataillon de Mobiles de l’Allier formé à Moulins et qui doit, avec ceux de Gannat et de Montluçon, assurer la relève du 92e de ligne.

Nous accourrons : dissipez vos alarmes,

Fils de l’Alsace, insultés d’aujourd’hui !

Le Rhin sanglant roulera bien des larmes !

Plus un Prussien ne rentrera chez lui !

Oui, oui, saluons la Mobile !

Demain de sa bouche virile

Ce cri magique sortira :

En avant ! La Mobile est là !

Il est aussi l’auteur des Gladiateurs, des Harmonies, de l’Orgue, de Mariska polka (pour sa petite-fille Mariska Rozsa) et Dear youth (liste non exhaustive).

 

Cela m’amène à dire quelques mots de sa famille. Marius Boullard est l’époux d’Eulalie Rufine Antoinette Fayel dont il a trois enfants, Alfred, Émilie et Alexandrine. Tous les trois baignés dans la musique en font leur profession.

Alfred, né à Rennes, 1er prix de hautbois au conservatoire en 1875, occupe pendant plus de 20 ans le pupitre de hautbois solo à l’Opéra-Comique. Il participe aux concerts Pasdeloup, Bosselièvre, Taffanel, Frascati. Pendant l’été, il travaille dans les stations balnéaires de l’océan et de la Manche. Il est également vérificateur des hautbois chez Evette et Schaeffer. Après avoir refusé la place de soliste à la Garde républicaine pour garder sa liberté, il est engagé comme professeur de musique des écoles de Passy, comme soliste de l’Harmonie du Bon Marché et des concerts au jardin d’acclimatation. Il décède à 52 ans en mars 1904. Il était marié à Marie Tessier.

Emilie Olympe Boullard naît à Reims le 27 août 1857. Elle est professeur de musique, rue des Couteliers au moment de son mariage, le 9 juin 1886 à Moulins, avec un Hongrois, Maximilien Aldebert Alexandre (Miksa) Rozsa, ingénieur des chemins de fer de l’état hongrois. Ils s’installent à Budapest où naît Marie Eulalie Adalberte, dite Mariska en avril 1887. La famille Rozsa vient habiter Moulins où Miksa meurt le 22 juin 1895. La Lyre moulinoise dirigée par monsieur Loullier anime la célébration. Emilie décède en septembre 1918, chez elle, à Avermes.

Alexandrine, professeur de musique, née à Moulins en 1870, épouse à Moulins en 1901 un Anglais, William Henry Swaine, professeur de langues, demeurant à Bagneux. Ils décèdent en mars 1938 à quelques jours d’intervalle, à leur domicile de la rue Gaston à Moulins.

Mariska Rozsa, la petite-fille de Marius Boullard, est elle aussi musicienne. Elle se marie en septembre 1906 avec Pierre Coutan, violoncelliste et professeur de musique, rue de la Comédie à Moulins bien qu’originaire de Nantes. Son père est artiste-peintre et conservateur du musée de Nantes. Le couple aura trois enfants, Nicole, Michelle et Paul et donnera régulièrement des récitals au théâtre de Moulins.  

 

Marius Boullard meurt le vendredi 27 novembre 1903 à 77 ans, dans sa maison de l’avenue Victor-Hugo. Le 22, au cours de la messe de la Sainte-Cécile dans la cathédrale, la Lyre moulinoise avait offert deux morceaux à son président, monsieur Advenier, et son ancien directeur, Marius Boullard, forcément très émus. Le soir, au cours du banquet à l’hôtel de l’Allier, Marius Boullard avait exhorté les musiciens à ne pas se départir de leur concorde. Ça aura été sa dernière contribution à cette formation qui lui devait tant.

Dès le début de l’année suivante, une souscription est lancée pour l’édification d’un monument au cimetière en son honneur. Un comité, présidé par monsieur Advenier, est chargé de recueillir les fonds et de choisir un sculpteur. Les présidents d’honneur en sont le Moulinois, Jean-Baptiste Faure de l’Opéra de Paris, président d’honneur de la Lyre moulinoise, Joseph Sorrel, maire, ainsi que messieurs Gabriel Plainchant et Damour, anciens présidents de la Lyre. A leurs côtés, on trouve, entre autres, messieurs Fournier des Corats, directeur de l’école de dessin, Paul Moretti, sculpteur, les rédacteurs en chef du Courrier de l’Allier, du Messager de l’Allier, du Radical de l’Allier et du Libéral de l’Allier, l’abbé Chérion, maître de la chapelle de la Madeleine à Paris et Émile Demourgues, pharmacien à Paris. En tout, 963 francs (soit 3 785 euros) sont récoltés.

Deux artistes se partagent la réalisation du monument funéraire : Léon Fagel, grand prix de Rome, neveu de Marius Boullard, pour le buste, et Constant Moyaux, grand prix de Rome d’architecture, membre de l’Académie des Beaux-Arts de Paris, pour la lyre.

Le dimanche 11 novembre 1904, le cortège d’inauguration part de la cour Moret à 9h 45. Au cimetière, en présence de madame Boullard, monsieur Advenier et Gabriel Plainchant rendent un dernier hommage à leur vénéré maître.

Une rue de Moulins porte son nom.

 

Louis Delallier

 

 

* Héroïne du roman de Théophile Gauthier, le Roman de la momie.

 

** Marius Boullard a pour homonyme son cousin, né en 1842, chef d’orchestre au théâtre des variétés à Paris et compositeur. Parmi ses œuvres, les opérettes Niniche, La Roussote ou Mon chien-chien, mon chéri ! En avril 1876, il embarque pour New-York avec Offenbach dont il est le chef d’orchestre afin de participer aux concerts du centenaire de l’Indépendance. C’est un homme déjà très éprouvé par la vie. Après avoir été grièvement blessé au cours de la guerre de 1870/71, il perd son fils d’une méningite en juin 1875, sa femme, Victorine Marcus de Beaucourt, âgée de 33 ans en avril 1879 et sa fille en juin 1883 à 5 ans. Mort d’une congestion pulmonaire en octobre 1891, il est enterré à Asnières après une cérémonie religieuse à l’église de la Trinité à Paris. Il laisse une veuve, sa deuxième épouse, Ernestine Worms, artiste au théâtre du palais-Royal dont il était le troisième mari.

Le Mémorial de l’Allier du 1er décembre 1876 rectifie un entrefilet annonçant que Marius Boullard va entrer au théâtre des Variétés pour diriger une œuvre de Jacques Offenbach en précisant qu’il s’agit du cousin de notre Moulinois.

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