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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Un mois de décembre particulier

Publié le 20 Décembre 2020 par Louisdelallier

Photo Louis Delallier

Photo Louis Delallier

« Donc, pas de réveillon cette année. Du moins au restaurant. Mardi soir nos marchands de soupe ont reçu l’ordre de fermer comme à l’ordinaire à l’heure du couvre-feu. Ni lumières, ni musique, ni bombance. S’en étonnera-t-on ? Ce n’est point encore l’heure des réjouissances. »

 

Cette phrase pourrait presque avoir été écrite en 2020 !

  

En réalité, nous sommes un peu avant Noël 1918 et juste à la fin de quatre années de guerre qui ont tué, mutilé, traumatisé des millions d’hommes, ruiné des régions, mis à mal l’économie. À ces drames, s’ajoutent les difficultés d’approvisionnement (même les allumettes font défaut) et la hausse du prix de certaines denrées. Les cartes d’alimentation et les tickets de pain sont toujours exigés. Et les réfugiés arrivent encore qui viennent grossir les rangs de leurs prédécesseurs toujours en attente d’un hypothétique retour chez eux.

Les publicités parues en ce mois de décembre 1918 dans le Courrier de l’Allier ou le Progrès sont révélatrices de la dureté des temps :

Le Mafé remplace avantageusement le café grâce à sa graine exotique de  même origine et de même goût. Autre avantage évident, son absence de caféine qui en fait une boisson recommandée aux cardiaques. Les hôpitaux et les collèges l’utilisent. On le trouve dans toutes les épiceries.

En guise de sucre, un succédané de chicorée au sucre de betterave pure ou le Glycosuc feront l’affaire.

Puisque le vin est cher, il suffit d’acheter la délicieuse boisson Fruita, de couleur rouge, qui se prépare instantanément avec 1 cuillère à soupe dans un litre d’eau. Les pharmacies et l’herboristerie moulinoise Bonnet la diffusent.

F. Duché, patron de la brasserie de Sept-fons, 74 rue de Lyon, est dépositaire de la poudre d’œufs garantis purs, dont l’eau a été extraite sans emploi d’ancien produit chimique. Chaque paquet vaut 12 œufs et peut servir à la préparation d’omelettes, d’œufs brouillés, de crèmes, sauces et pâtisserie. La même boutique vend l’appareil breveté Sevos pour économiser le charbon jusqu’à moins 47% attestés par le Conservatoire des arts et métiers.

Malgré la pénurie alimentaire et malgré le décret du 1er octobre précédent réglementant les charcuteries*, les charcutiers Chêne fils, 41 place d’Allier, libéré de toute obligation militaire, et Auroy, 36 rue des Couteliers, rapatrié d’Allemagne, annoncent dans la presse la réouverture de leurs magasins.

Pour les fêtes de Noël et du 1er janvier, Chêne, confiant, attend les commandes de ses terrines de gibier, galantines de volailles, foie gras truffé, de ses spécialités à base de lapins de garenne, canards sauvages, faisans, perdreaux truffés et conserves.

 

De plus, ces fêtes se préparent dans une situation sanitaire très médiocre à cause de l’état des soldats revenus de la guerre, certains gazés et/ou estropiés, épuisés, dévastés, dans un contexte sanitaire inquiétant à cause des privations résultant du conflit et à cause de la pandémie de grippe espagnole qui sévit toujours**.

Le hasard n’est donc pour rien dans le fleurissement hivernal de réclames pour des remèdes, tout aussi puissants et miraculeux les uns que les autres, qui se bousculent dans les quotidiens cités plus haut. De pseudos scientifiques, sans vergogne, n’hésitent pas à promettre à une population fatiguée, la guérison de n’importe quel mal aussi grave puisse-t-il être. Un seul mois de lecture témoigne de leur ingéniosité débordante :

Grains de santé du Docteur Franck (constipation)

Potion du Docteur Darbel (rhumes, asthme, emphysème, bronchite chronique)

Aniodol (maladies infectieuses et contagieuses - toilette intime, préserve et soigne métrites, salpingites, fibromes,  cancers, etc.)

Dépuratif bleu (eczéma, vices du sang, estomac, foie, reins, rhumatisme, maux de la femme)

Elixir Dupeyroux  (tuberculeux, emphysémateux, pleurétiques) et pastilles Dupeyroux (grippe, toux, bronchites, étouffements)

Eustomasine du R. P. Turel (maladies de l’estomac et de l’intestin)

Globéol le plus puisant reconstituant (anémie, surmenage, convalescence)

Grains de Vals (laxatif dépuratif)

Gyraldose (soins intimes de la femme)

Jubol, seule médication rationnelle de l’intestin

Jubolitoires, suppositoires anti-hémorragiques, décongestionnants et calmants

Méthode Charles Courtois, méthode Vuachet, méthode Leroy pour guérir les hernies

Pagéol répare la vessie

Pastilles Mélissia (mauvaises digestion, migraines, défaillances, vertiges, faiblesses)

Pastilles Parégora (diarrhées, dysenterie, entérite, gastralgie)

Pilules Astra (anémie, chlorose, croissance, surmenage, paludisme, diabète)

Pilules fortifiantes des Pères de la Salette (épuisement nerveux, lassitudes, tristesse, vapeurs, pauvreté du sang, étourdissement) - onguent (maladies de la peau) - emplâtre (toux, rhumes, bronchites, points de côté, maux de reins, rhumatismes, crampes) - tisane (estomac, intestin)

Pilules Litkine (anémie, chlorose, pertes blanches, hémorragies)

Poudre Louis Legras (asthme, emphysème, bronchite)

Sinubérase, policier de l’intestin

Stomachique Serrette (crampes d’estomac, vomissements, gonflements, vertiges) soulage et guérit toutes les maladies

Topique Bertrand (rhumatismes, sciatiques, névralgies)

Urodonal modifie l’hérédité arthritique (goutte, gravelle, artériosclérose)

Vamianine (psoriasis, eczéma, acné, ulcères)

L’un de nos compatriotes, Maurice Bouquet, orthopédiste, fournisseur des hôpitaux civils et militaires, met en avant son pilon d’1,9 kg fraîchement inventé par lui-même. Accepté par l’armée, cette prothèse comprend un mécanisme breveté permettant aux mutilés de prendre toutes les positions voulues et nécessaires. Un choix de jambes artificielles d’un nouveau modèle articulé sur mesure, de corsets spéciaux, de bandages est à découvrir dans son magasin de la rue Wagram.

 

Mais malgré tout, les orphelins de guerre (150 répondent à l’invitation) ont leur moment de détente, voire de joie, l’après-midi même du 25 décembre, grâce à l’arbre de Noël qui  leur est spécialement offert, dans la salle des fêtes de la mairie où les décorations chatoyantes ne font toutefois pas oublier les vêtements de deuil. Monsieur Darfour, maire, rappelle le sacrifice des pères dans un court discours. Puis, messieurs Vidard, Prudhomme et Ray, conseillers municipaux, distribuent poupées, manèges, lance-balles, boîtes de soldats, tambours, merceries, chevaux mécaniques et des tablettes de chocolat Klaus. Un vieux moulinois dont les fils ont été épargnés a donné 100 francs pour les orphelins (176,55 euros) auxquels Monsieur Darfour ajoute 50 francs. Chaque enfant reçoit donc en surplus 1 franc. Les enfants soignés à l’hôpital auront leur part de la fête.

 

Joyeux Noël à tous !

 

Louis Delallier

 

Courrier de l'Allier - décembre 1918

Courrier de l'Allier - décembre 1918

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