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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

La rue du Sommeil et le cimetière des Choux à Moulins

Publié le 25 Janvier 2014 par Louisdelallier

Entre la rue des Potiers et la rue de Bourgogne, Moulins a encore sa rue du Sommeil. Elle débouche face au château d’eau pas très loin  du passage à niveau.

En 1744, une décision, longtemps repoussée, est enfin prise. On créera un cimetière pour les inhumations de la paroisse Saint-Pierre en dehors de la deuxième enceinte de la ville pour des raisons d’hygiène publique. Moulins possède alors trois cimetières celui de Saint-Pierre-des-Menestreaux, celui de Saint-Gilles et celui de l’hôpital général. Le cimetière de Saint-Gilles rejoindra celui de La Madeleine créé, lui, en 1754.

Une parcelle de terrain appartenant à Pierre de Saint-Cy située contre un des remparts de la ville à proximité de la porte de Bourgogne (entre la rue de la Paix, la rue du Jeu-de-Paume et la rue des Potiers) est achetée par la municipalité pour accueillir le nouveau lieu de sépulture. C’est le premier cimetière moulinois situé loin des églises.

Le cimetière des Choux (sur l’emplacement d’un jardin, d’où sa dénomination) s’ouvre sur une rue dénommée rue de La Croix. Ce nom trop évocateur pour la période révolutionnaire est abandonné. La rue devient celle du sommeil. Ce n’est pas tout. Le 19 vendémiaire an II (10 octobre 1793), Fouché, député de la Convention et missionné par elle dans le centre de la France dont le Bourbonnais, ordonne entre autres, la suppression de tous les signes religieux dans les cimetières placés sous son contrôle. On ne doit y voir qu’une statue du Sommeil et à l’entrée doit être inscrite la phrase suivante : « la mort est un sommeil éternel ». La déchristianisation du pays est en marche.

L’arrêté de Fouché comporte les articles suivants :

« Art. 4. Dans chaque municipalité, tous les citoyens morts, de quelque secte qu’ils soient, seront conduits, vingt-quatre heures après le décès, et quarante-huit en cas de mort subite, au lieu destiné pour la sépulture commune, couverts d’un voile funèbre, sur lequel sera peint le Sommeil, accompagnés d’un officier public, entourés de leurs amis vêtus de deuil et d’un détachement de leurs frères d’armes.

Art. 5. Le lieu commun où leurs cendres reposeront sera isolé de toute habitation, planté d’arbres, sous l’ombre desquels s’élèvera une statue représentant le Sommeil. Tous les autres signes seront détruits. »

Art. 6. On lira sur la porte de ce champ, consacré par un respect religieux aux mânes des morts, cette inscription : « La mort est un sommeil éternel ».

Art. 7. Tous ceux qui, après leur mort, seront jugés par les citoyens de ladite commune avoir bien mérité de la patrie, auront sur leurs tombes une pierre figurée en couronne de chêne. »

Le 23 frimaire an II (13 décembre 1793) pour 1 000 livres, le sculpteur Legros se voit confier l’exécution de cette statue. Fouché refuse la maquette et se serait exclamé, « une statue à dormir debout ».

Le second projet est accepté. Il présente une statue de terre cuite peinte en blanc, la tête couronnée de pavots avec de petites ailes de chaque côté. Elle est enveloppée d’une draperie parsemée d’étoiles laissant voir des formes assez bien dessinées et couchée sous une espèce de dais. A ses pieds, on peut voir un sablier renversé. Cette œuvre symbolique est placée au croisement des deux allées du cimetière. Elle est abritée des intempéries par un toit pyramidal en tuiles supporté par quatre piliers en bois posés sur 4 cubes en pierre d’Apremont. Ce qui est surprenant, c’est qu’une croix ait été gravée sur l’une des faces de chacun de ces cubes. La statue du sommeil ne reste pas longtemps en place. Le 20 prairial an III (8 juin 1795), le conseil municipal ordonne de briser ce signe de terrorisme et lève sa séance seulement lorsque deux de ses membres lui rendent compte que son arrêté a été exécuté.

Le cimetière des Choux portera aussi le nom de cimetière des Espagnols à cause des nombreux prisonniers arrivés à Moulins de 1809 à 1811 pendant la guerre napoléonienne avec l’Espagne.

Il est fermé le 25 avril 1829 et remplacé en mai par le cimetière de la rue de Paris (toujours en service) situé dans l’ancien enclos des Bernardines. En janvier 1830, le conseil municipal décide de prolonger la rue du Sommeil jusqu’au château d’eau, 81 rue de Bourgogne. En 1844, l’emplacement du cimetière désaffecté est divisé en plusieurs lots sur lesquels les acquéreurs bâtissent.

L'image de ville endormie qui colle toujours à Moulins a, en son temps, été décrite avec humour par le romancier et auteur dramatique Amédée Achard (1814-1875). En route pour Vichy, ce dernier s’arrête à Moulins. Comme il n’y parcourt que des rues désertes et semblant inhabitées, il juge que ce mot de sommeil caractérise bien la ville : « Place de la république vers les quatre heures de l’après-midi, ne voyant pas un être je marche sur la pointe des pieds afin de ne réveiller personne. Arrivé au boulevard, je trouve des garçons de café couchés sur les banquettes. A peine suis-je rue de Bourgogne que j’aperçois l‘écriteau Rue du Sommeil. je ne peux alors m’empêcher de dire qu’il faut être à Moulins pour trouver la rue du Sommeil. C’est peut-être la seule ville au monde qui en ait une ».

Une recherche rapide permet de trouver trois autres villes françaises à avoir une rue du Sommeil en 2014 : Marseillan dans l’Hérault, La Tremblade en Charente-Maritime et Perpignan dans les Pyrénées-Orientales.

Louis Delallier

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