Encore un marcheur passé par Moulins et pas des moindres puisqu’il est surnommé le roi des marcheurs. Et ce « pedestrian », avec son pas d’un mètre, réalise des performances, pour le plus grand plaisir du public. A cette époque, ce type d’exploits n’était pas rare. L’athlétisme en était à ses débuts et quelques « surdoués » en avaient fait profession et en tiraient des revenus et la gloire.
Yves Gallot est Parisien de naissance, il a vu le jour le 30 avril 1863 rue Pigalle. Mais malmené par ses parents, chaussonnier et chaussonnière, il prend la direction du Havre dès l’âge de 17 ans, à pied, en compagnie de Paul, un ami.
En 1881, les deux jeunes gens se lancent dans l’aventure américaine en montant, comme manœuvres, à bord d’un trois-mâts, le Ceylan, en partance pour les Etats-Unis. Ils débarquent au Delaware d’où ils gagnent New York à pied en 4 jours. Là, Yves Gallot trouve un emploi de porteur de journaux. Au bout de quelques mois, il décide de rallier le Canada qui l’attire, seul, car Paul est reparti en France. Il y découvre le mode de vie des trappeurs et des Indiens en tenant une « factorie » près du lac Winnipeg où les Indiens échangent, au printemps, des fourrures contre des produits ordinaires. Il est associé à César Napoléon, un Sioux qui lui apprend à marcher plus efficacement en lui inculquant la vitesse, l’endurance et la souplesse. Il n’hésite pas à en faire son gagne-pain en défiant d’autres marcheurs à Montréal. Quand il a de quoi s’acheter un billet de retour vers la France, il n’attend pas pour s’embarquer. Au cours de son « exil » d’environ dix ans, il a à son actif 145 175 km en 27 000 heures de marche.
A Paris, il se fait un nom grâce à sa démarche puissante, originale et sa volubilité qui séduisent les journalistes. Il aime à se raconter.
En juin 1892, il participe au Paris-Belfort, course de marcheurs (496 km) organisée par Le Petit Journal. Son journaliste vedette, Jean Sans Terre, couvre l’épreuve en continu.
Les 9, 10 et 11 février 1894, il se mesure au cheval du capitaine Cody, cousin de Buffalo Bill, au champ de Mars à Paris en 50 heures et pour 6 000 francs. Le matin du 10, Gallot est devancé par le cheval. Mais il ne renonce pas et s’encourage en chantant des refrains militaires et des succès du café-concert. A la fin du défi, le capitaine Cody a parcouru 259 km et a eu besoin d’un deuxième cheval, le premier étant épuisé. Gallot en a parcouru 256. Il n’est pas vainqueur, mais il est acclamé par la foule. Il est intéressant de signaler qu’il porte un fusil surmonté d’un drapeau tricolore parce que, dit-il : « Je ne marche guère sans mon fusil et mon sac, bien garni ! Ça, c’est une habitude de trappeur, contractée en Amérique. C’est là que j’ai appris à marcher. »
Il gagne le titre champion de Belgique en 1893, en arrivant premier des 30 heures de Bruxelles.
En 1895, il parvient à faire 62 tours de Paris en 31 jours, soit 2 421 km, en 744 heures et 23 minutes avec un arrêt toutes les 6 heures pour se reposer et se ravitailler.
En 1895 encore, il se confronte à Watchall, marcheur autrichien. Les deux hommes marchent 11 heures quotidiennement pendant 37 jours. Gallot gagne en faisant 2 398 km.
En 1897, à Nice, il défie à nouveau le capitaine Cody en 50 heures aussi. Et, cette fois, il le devance d’un kilomètre après une marche de 278,2 km.
En mars 1899, il décide de se mesurer à des cyclistes et des cavaliers au vélodrome de Chaptal à Montpellier, toujours portant un sac à dos et un fusil. La course dure 24 heures pendant lesquelles les adversaires de Gallot ont trois fois plus de distance à parcourir que lui. Avec une moyenne de 6 km/h, Gallot couvre 141 km. Il est battu de 22 km par Caizergues qui est à bicyclette.
L’année suivante, il ouvre un commerce de de vins à Saint-Denis, puis à Saint-Ouen, sans succès.
En 1903, il est de retour au vélodrome Chaptal pour 200 km qu’il parcourt en 34 heures, habillé comme un Boer. Les Français se passionnent alors pour cette population sud-africaine qui se bat contre l’Angleterre pour obtenir son indépendance. Cette année-là, il se classe deuxième de Bordeaux-Paris (600km en 119 heures, 58 minutes et 12 secondes). Mais, il est disqualifié pour soupçon de course entre Orléans et Acquebouille dans le Loiret.
En 1903, Dijon l’accueille du vendredi 7 août à 11 heures au dimanche 9 à 17 heures, pour 817 tours de la place Darcy, soit 224 km en 54 heures à la moyenne horaire de 4,15 km. Il a marché sans sac et sans fusil. Au mois d’octobre suivant, il se mesure aux concurrents du Bordeaux-Paris.
Le jeudi 13 avril 1905, il arrive à Moulins après avoir remporté une marche organisée par le journal L’Eclair, marche de 145 km en 24 heures à Nevers, sur 300 concurrents. Les autorités moulinoises lui ont donné leur accord sur l’itinéraire qu’il suivra pour sa démonstration : de la place d’Allier (au café lyonnais) à la place aux Foires (place Jean Moulin actuelle) aller-retour, au pas de marche, sac à dos chargé, fusil à l’épaule avec drapeau au canon. Le trajet est estimé à 130/140 km.
Il marche donc du samedi, à 18 heures au dimanche à la même heure et au même endroit. Les sociétés sportives locales sont partie prenante du défi pour l’entraînement et les contrôles effectués nuit et jour au café des négociants et au café Bouvier place aux Foires. Yves Gallot ajoute encore 150,7 km au compteur de ses exploits. Il en tire le bénéfice pécuniaire résultant de collectes et de la vente de sa carte postale.
Le dimanche 30 avril, au vélodrome de Montluçon, il tente de gagner de vitesse un cheval monté. Mais une collision avec un cycliste lui fait perdre une vingtaine de minutes. Vers 17h 30, au bout de 86 km, le cheval ne peut plus avancer. Gallot, lui, peut encore car il atteint 87,814 km en 8 heures. La foule l’applaudit comme un héros.
En 1921, il marche chaque samedi environ 200 km avec une destination différente : Chartres, Angers, Nantes, etc. On relève que sa vitesse horaire varie entre 7,3 et 7,8 km.
En 1923, Yves Gallot est âgé de 63 ans, ce qui ne l’empêche pas d’être encore à l’affiche les 22 et 23 mai à Paris, place des fêtes, pour une marche de 30 heures.
Interviewé par L’Ouest-Eclair en juillet 1933, il raconte que le quotidien L’Auto avait titré « Gallot, le roi des marcheurs est mort » en précisant qu’il s’était jeté dans la Seine depuis le pont Notre-Dame… alors qu’il courait à Corbeil.
En 1929, il a 66 ans. Veuf depuis 7 ans, il occupe un poste de veilleur de nuit à Asnières. Mais surtout ses jambes le lâchent et il n’intéresse plus la presse. « Ah, ça m’a fait de la peine d’être si vite oublié des Parisiens qui m’ont tant fêté ». Une chute dans un escalier le paralyse à moitié et il doit entrer dans un hospice pour vieillards à Ivry. Ne s’y sentant pas bien, il écrit à Étienne Pinault, député de Rennes, lequel lui trouve une place à l’asile de la Piletière à Rennes.
Yves Gallot meurt le 9 juillet 1936. Il est enterré au cimetière d’Ivry. On dit que son fils et six personnes seulement ont suivi le convoi funéraire.
Yves Gallot est l’auteur de :
« Au-delà des mers, souvenirs d’un marcheur» - Bibliothèque marcheuse - 1895
« L’art de marcher, les conseils pratiques du roi des marcheurs » (1898, réédité en 2013 -Petite bibliothèque Payot)
« Souvenirs du marcheur Gallot, le roi des marcheurs » 1909, Paris, Collection A.L . Guyot.
A noter que le marcheur est aussi un homme courageux. En témoigne la lettre de félicitations du ministre de l’intérieur, le 27 décembre 1915, reçue pour sa conduite au moment de l’explosion accidentelle de l’usine de grenades de la rue de Tolbiac, le 20 octobre 1915.
Louis Delallier