Toute ressemblance avec des faits actuels n’est pas fortuite, malheureusement !
Une note du conseil d’hygiène de la Seine présidé par le docteur Roux paraît dans le Courrier de l’Allier du 15 octobre 1918. Elle contient des recommandations essentielles pour lutter contre la propagation de la grippe espagnole* dont les ravages ont commencé à se répandre dans le monde entier le mois précédent.
Le conseil départemental d’hygiène de l’Allier, réuni dès le 14 octobre 1918 à la préfecture, tient à donner le plus de publicité à ces indications de la plus haute importance pour la population.
Il est demandé la plus grande rigueur dans l’observation des mesures d’hygiène, seules capables d’éviter une catastrophe sanitaire déjà bien amorcée :
Éviter le contact avec les malades en les isolant chez eux dans une pièce à leur seul usage ou derrière un paravent ou des draps suspendus à des cordes, et si l’isolement est impossible les transporter à l’hôpital ;
Se laver les mains et se placer une compresse protectrice devant le nez et la bouche si nécessaire ;
Éviter les réunions dans les endroits publics en plein air autant que dans les locaux fermés comme les lieux consacrés aux cultes, les théâtres, les cinémas, les grands magasins, les trains, etc.
Une instruction d’Albert Favre, sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, demande aux médecins de déclarer tous les cas pour une meilleure étude de la maladie. Pour la période du 1er septembre au 14 octobre, , on comptabilise à Moulins 47 décès dus à la grippe contre 3 en 1917 aux mêmes dates.
Dans la foulée, le préfet de l’Allier, Laurent-Georges Bernard, prend la décision de fermer toutes les écoles jusqu’au 3 novembre à Moulins, Buxières-les-Mines, Le Theil, Vichy, Ferrières, La Guillermie, Saint-Gérand-le-Puy et Gannat. Les écoles normales, l’institution du Sacré-Cœur et le pensionnat Saint-Gilles à Moulins ont déjà fermé leurs portes.
Puis, le 18 octobre, le maire de Moulins, Antoine Darfour, décide, à son tour, la fermeture des cinémas, théâtres et autres spectacles publics de tout genre. On remboursera les places pour la représentation de Robinson Crusoé.
Le lendemain, la fermeture est étendue à toutes les écoles du Bourbonnais et à toutes les salles de spectacle.
Une session spéciale du baccalauréat est prévue à la mi-novembre pour les 20% de candidats malades lors des épreuves ordinaires. Tous les appels dans les cabines téléphoniques en cas de nécessité pour des malades ou par des praticiens sont passés en urgence et au tarif normal.
Le 25 octobre, on annonce une fermeture partielle de la poste de Moulins pour cause de maladie de certains employés.
Début novembre, l’épidémie n’ayant pas régressé, les médecins mobilisés, sans distinction de spécialité, sont appelés à donner des soins en dehors de leurs heures de service militaire (la guerre n’est pas encore terminée). Les écoles primaires voient leur fermeture prolongée jusqu’au 10 novembre à Moulins, Noyant, Montluçon, Vichy, Cusset, Gannat, Saint-Pourçain-sur-Sioule et jusqu’au 14 novembre inclus pour les collèges, lycées, écoles normales.
Le 8 novembre, un nouvel arrêté préfectoral allonge la durée de fermeture des établissements scolaires jusqu’au 17 novembre. Les spectacles sont toujours interdits.
Enfin, le 14 novembre, constatant la décroissance de l’épidémie, le préfet décide la reprise des cours le lundi 18 novembre et la réouverture des salles de spectacle le 16 après désinfection. Il exige que toutes les salles de spectacle soient nettoyées et aérées avec interdiction de balayage à sec. Il rappelle que les malades sont encore nombreux et que la vigilance ne doit pas retomber dans l’application stricte des règles d’hygiène. Tout élève présentant des symptômes ou ayant des malades dans son entourage se verra refuser l’entrée dans son école.
Il y aura des sursauts de l’épidémie. Dans les premiers jours de décembre, M. Mourier, sous-secrétaire d’Etat du service de santé envoie une circulaire aux directeurs du service de santé des régions rappelant le maintien indispensable et rigoureux des mesures de prophylaxie dans les hôpitaux et les corps de troupe. Des rapports spéciaux doivent être envoyés aux médecins des dépôts et des formations sanitaires pour une meilleure évaluation de l’impact sur la population.
Le 13 décembre, on peut lire dans la presse que la grippe fait le tour du monde. Le lendemain, un journaliste déplore que, malgré la recrudescence de cas de grippe espagnole, des mesures collectives ne sont pas prises en France. Il cite l’exemple de San-Francisco où toute réunion est interdite, où les églises, écoles, théâtres sont fermés depuis un mois et où les habitants doivent porter un masque dans la rue et les commerces… Là-bas, la situation s’améliore, pas ici où « aucune mesure n’a gêné personne ».
Il n’est pas rapporté, alors, dans la presse loclae ce que cette négligence aura coûté en décès supplémentaires.
Quant aux traitements, des alertes sont lancées, comme en ce moment, contre l’usage exagéré de l’aspirine et de la quinine pouvant provoquer de graves accidents cardiaques ou des pneumonies. On recommande d’envelopper le thorax des malades dans une serviette éponge trempée dans de l’eau à 25° et essorée toutes les trois heures, de le couvrir de taffetas gommé et de coton, d’utiliser le Quinquina et le collargol comme adjuvants et de se « nourrir » de tisanes et de lait mêlé d’eau.
Le docteur Montalescot (qui fut un chef de service aux armées remarqué en 1917) conseille de prendre 3 fois par jour dans un quart de verre de lait chaud de la teinture d’iode en prévention, et pour les malades, chaque jour vers 16 heures, un cachet de sulfate de quinine ainsi que toutes les trois heures une tasse d’une tisane faite de lait chaud bouilli et d’infusion de fleurs de mauve avec une cuillère à café de rhum. Il recommande d’enduire les muqueuses nasales d’huile goménolée et de garder une température de 18°dans la chambre. Cataplasmes sinapisés, et ventouses en cas d’oppression et gargarismes avec de l’eau tiède contenant une ½ cuillère à café de teinture d’eucalyptus et une cuillère à café de borate de soude par verre font également partie de la panoplie curative.
Un autre médecin, courageux ou téméraire, le docteur Dujaric de la Rivière** fait sur lui-même l’expérience de la grippe en s’injectant du sang de malade. Guéri, il se contamine à nouveau avec des crachats d’un autre malade une dizaine de jours plus tard. Il ne retombe pas malade, ce qu’il voulait démontrer.
Pour terminer de façon humoristique, voici un remède, proposé par un médecin (!), paru dans la Vie parisienne du 20 juillet 1918 puis dans le Courrier de l’Allier du 19 août 1918, celui des trois chapeaux :
« Avez-vous eu, avez-vous la grippe espagnole ? Non ?... Tant pis, car il se pourrait bien alors qu’elle vous pendît au nez. Dans ce cas, on vous conseillera toutes sortes de potions, depuis des cachets d’aspirine jusqu’à la tisane de queue de cerises. Evidemment, ces médicaments ne vous feront peut-être pas grand bien. Il n’est qu’un remède éprouvé, sûr, infaillible – à ce que nous affirme, du moins, un grand médecin – c’est… le remède des trois chapeaux. Il est bien simple, le voici :
D’abord, vous vous couchez ; puis, vous faites placer en évidence au pied de votre lit, un chapeau, un chapeau melon, ou haut de forme, peu importe. Il ne vous reste plus qu’à ingurgiter des grogs chauds ou du vin cuit à la cannelle, selon vos préférences, en regardant attentivement ce chapeau. Tant que vous ne verrez qu’un seul chapeau, vous serez malade. Quand vous en verrez deux, vous commencerez à aller mieux. Mais quand vous en apercevrez trois, la grippe sera vaincue ; vous n’aurez plus qu’à vous endormir ; au réveil, vous serez guéri. » !!!
Louis Delallier
*La grippe espagnole, ayant pour origine probable la Chine, connaît ses premiers cas mortels aux États-Unis du côté de Boston vers le 14 septembre 1918. Le déplacement des soldats américains sur le sol européen facilite son extension chez les alliés d’abord, puis deux semaines après en Italie, Allemagne, Espagne. En octobre, propagée par les marins vers l’Afrique, l’Océanie, l’Asie, elle obtient le titre redouté de pandémie. Les populations européennes affaiblies par quatre années de guerre la reçoivent de plein fouet. En France, le nombre de morts est presque équivalent à celui des États-Unis. Des villes entières sont à l’arrêt à cause de la maladie et de la peur qu’elle engendre. Le mois de propagation est octobre et celui du plus grand nombre de décès novembre à cause d’infrastructures sanitaires débordées… le nombre de victimes dépasse celui dû à la guerre. La pandémie aura duré de mars 1918 à juillet 1921 pour le dernier cas enregistré, en Nouvelle-Calédonie, avec des effets dévastateurs surtout en 1918 et 1919. Pourquoi l'a-t-on qualifiée d’espagnole : l’Espagne était le seul pays à communiquer sans censure sur le sujet car non impliqué dans la guerre qui sévissait alors.
**René Dujaric de la Rivière (Excideuil 1885 – Neuilly-sur-Seine 1969) était un médecin biologiste pasteurien inventeur de l'antidote de l’amanite phalloïde et d’une technique de filtration qui lui a permis d’identifier le virus de la grippe.