Nous sommes en février 1903. Il existe à Moulins une fédération des amicales d’anciens élèves (ou Petites A) qui assure cours et conférences. La ville voudrait la développer par la création d’une université populaire à l’instar des quelque 125 existantes déjà en France. Les membres des amicales laïques pourraient en constituer la base sans toutefois entrer dans leur composition car elles ont leur propre rôle à tenir par ailleurs.
Sept mois plus tard, le conseil municipal du 8 septembre décide d’accorder gratuitement à l’université populaire naissante le local des « anciennes archives » situées dans un bâtiment à l’arrière du tribunal rue de Paris. Le 28 novembre suivant, les Petites A lancent la saison 1903/1904. La conférence d’inauguration sur le XIXe siècle donnée par M. Versini, inspecteur d’académie, est considérée comme un modèle de tact, mesure, clarté, foi républicaine, prudence philosophique et appropriation du sujet…
Elle est suivie d’une déclamation par M. Poënat, puis de l’exécution de l’Hymne des temps futurs de Maurice Bouchor*, d’une audition de gramophone et d’une polka qui met tout le monde en joie. Les spectateurs sortent au rythme de la musique.
Les cours se déroulent alors dans les écoles rues du Jeu-de-Paume, Louis-Blanc, Achille-Roche et de Bernage. Dès le 16 décembre, les conférences publiques sont déplacées au mercredi pour ne pas nuire à celles de la société des connaissances utiles qui ont lieu les samedis. Ces conférences hebdomadaires sont destinées aux enfants, aux jeunes et aux adultes. On espère fortement que le côtoiement entre élèves des établissements primaires et secondaires permettra une certaine camaraderie ou au moins un respect mutuel.
Les travaux dans les futurs locaux de la rue de Paris sont achevés pour une inauguration le dimanche 16 octobre 1904. L’assistance est nombreuse dans cette ancienne école qu’on dit « tirée de ses ruines » grâce à la volonté des conseils municipal et départemental.
Deux cours pour les jeux d’extérieur, un rez-de-chaussée composé d’une vaste salle pour les conférences et les représentations, un 1er étage avec salle de cours ou de jeux, bibliothèque et buvette de tempérance où ne seront servies que des consommations inoffensives et à prix très minimes en sont les principaux aménagements. Deux meubles-bibliothèques ont été réalisés sur mesure par M. Billard pour conserver le don des livres fait par M. Belin-Dollet. Ils portent sur leurs frontons le nom du donateur et la date de sa donation.
Malgré sa volonté d’une inauguration confidentielle, le conseil d’administration est entouré du préfet Léon Briens, Henri Péronneau, député, M. Dupré, adjoint au maire, la plupart des conseillers municipaux, M. Versini, l’inspecteur d’académie, le proviseur du lycée Banville, et bien d’autres.
M. Vidard, président de l’Université populaire, remercie Messieurs Lemoine, ingénieur, et Lavillatte (nommé membre fondateur de l’U.P.), entrepreneur de maçonnerie, pour avoir su redonner une nouvelle jeunesse à la vieille école.
On visite les salles du musée départemental tout à côté, on écoute La Marseillaise jouée par la Lyre moulinoise. On assiste au concert dans la cour fleurie et à l’arrivée de la course pédestre organisée en ville par le Club sportif moulinois. L’U.P. remet ses prix aux cinq premiers : Noyer, Dauvillaire, Leyrat, Saulnier et Charmillon. Dauvillaire, gagnant du Tour de Moulins, a été distancé d’environ 200 mètres à la suite de la perte de sa chaussure !
Champagne pour tous et soirée dans la salle des fêtes pour une représentation dont un concert donné par le Jeune Odéon moulinois avec le concours de Mlle Théron et de M. Vincent, professeurs. Pierre Chaumas (voir mon article à son sujet) dirige plusieurs morceaux. Monologues, chansonnettes se succèdent avant le vaudeville de Georges Courteline « Un client sérieux ». La société des trompes de chasse, la Moulinoise a également été sollicitée.
Quelques-uns des enseignants qui ont été parmi les premiers à transmettre leur savoir sont Auguste Sauroy, artiste peintre, Messieurs Roubert, Raphaël, Dallant, Bardiaux, Gervois, Seix, Dubreuil, Lachéroy, Coulhon aîné, Gaget, Loizel, Moreau.
Les conférenciers sont messieurs Versini, l’inspecteur d’académie précité, Vizier, secrétaire de la société de secours mutuels, Comte, directeur de l’Ecole normale de garçons, Sauroy, artiste, Lougnon, médecin, Pinguet et Gillet, publicistes, Hubert de la brasserie Schneider, Auclair, architecte, Gaget, professeur à l’école d’agriculture de Gennetines et messieurs Monnot, Boucher, Bousquet, professeurs au lycée Banville.
A la fin de l’année 1905, un public inattendu grossit les rangs des élèves, avec des horaires spécifiques, de 20 heures à 22 heures, 2 fois par semaine. Il s’agit de trente militaires de la caserne du quartier Villars qui suivent les cours pour illettrés dispensés par monsieur Ferrier, instituteur. L’initiateur en est le commandant Lacombe du 13e escadron du train.
L’université populaire organise également des sorties, excursions, soirées, concerts, fêtes, tombolas tout au long de l’année. Parallèlement à ces actions, elle facilite le placement comme apprentis ou ouvriers des jeunes gens appartenant à la Fédération. Un carnet de renseignements est établi par les soins du secrétaire et communiqué aux commerçants et industriels de Moulins qui pourraient avoir besoin de salariés.
Aujourd’hui, l’UPAM, Université populaire de l’agglomération moulinoise, a son siège rue de Bernage à la Madeleine dans l’ancienne école élémentaire après être restée longtemps dans l’hôtel d’Ansac rue Diderot.
Louis Delallier
*poète et auteur dramatique (1855-1929) dont la vie a été dédiée à l’éducation populaire. Il a écrit, avec Jean Ruault, les paroles françaises de l’Ode à la joie de Beethoven, autrement nommée L’Hymne des temps futurs
Bref historique des universités populaires :
Un pasteur luthérien danois devenu évêque est à l’origine de l’université populaire au XIXe siècle. La France met en place dès 1848 une association philotechnique à Paris à l’initiative d’Eugène Lionnet, mathématicien. Elle aura parmi ses présidents le prince Jérôme-Napoléon en 1865 et Victor Hugo en 1880.
La première université populaire est créée en 1898 pour contrer l’antisémitisme grandissant dans le contexte de l’affaire Dreyfus et pour apporter aux adultes l’enseignement dont ils n’ont pas bénéficié enfants. Cette première structure « La coopération des idées » est l’œuvre de Georges Deherme, sculpteur sur bois et typographe associé à des ouvriers de Montreuil-sous-Bois et de Paris. En 1901, on trouve 124 universités populaires sur le territoire français. Leur financement provient des conseils municipaux et généraux. Mais, la cohabitation d’intellectuels et d’ouvriers aux niveaux d’instruction inégaux, aux idéaux contradictoires ajoutée à des problèmes politiques entraîne le déclin du mouvement. Avant la première guerre mondiale, il ne reste que 20 UP en France.
Entre les deux guerres, certaines réapparaissent plus marquées syndicalement. Un nouveau coup leur est porté avec la guerre de 39-45. Après-guerre, l’Alsace redonne du souffle aux UP avec la création en 1963 à Mulhouse de l’université populaire du Rhin. Elle conserve une importance de poids au sein de l’Association des universités populaires de France (AUPF) forte de sa soixantaine d’UP adhérentes. L’AUPF organise des colloques annuels internationaux.