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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Les bateaux-lavoirs sur l'Allier à Moulins

Publié le 24 Août 2013 par Louisdelallier in Patrimoine

Le bateau-lavoir est un établissement réglementé aux normes très précises. Le propriétaire doit payer une patente pour exercer son commerce. Les lavandières qui fréquentent le bateau-lavoir peuvent travailler pour des clients attitrés ou venir laver leur propre linge. Elles arrivent avec leur équipement chargé sur une brouette à trois roues : battoir, brosse, savon, corbeilles de linge sale.

Les bateaux-lavoirs sur l'Allier à Moulins

Les lavandières travaillent dur, penchées sur leur linge, frottant avec leurs mains ou leur brosse, tordant les draps ou frappant avec leur battoir en bois. L’été, il fait très chaud sous le toit d’ardoises malgré l’ouverture des fenêtres et les courants d’air. L’hiver, l’eau est glacée et les seaux d’eau chaude sont payants ce qui augmente les frais. Chaque samedi ou dimanche matin, les sols des bateaux-lavoirs rendus glissants par l’emploi d’eau savonneuse sont rincés à grande eau, balayés et les baquets sont vidés, retournés et rangés.

En amont du pont Régemortes, rive droite

En amont du pont Régemortes, rive droite

Il y a eu jusqu’à six bateaux-lavoirs amarrés en amont du pont Régemortes sur la rive droite. En 1918, trois subsistaient. Les lavandières qui ne veulent pas bénéficier de l’organisation proposée par les bateaux-lavoirs, à cause de son coût notamment, se réunissent en aval du pont Régemortes où elles travaillent sur des planches de bois posées sur des tréteaux. Les conditions sont encore plus dures. Aucun abri ne les protège des intempéries. Et, les lavandières doivent veiller à ne rien laisser tomber dans l’eau. Un savon tombé est un savon perdu. Le linge, lui, flotte et peut être rattrapé dans la plupart des cas.

En aval du pont Régemortes, rive droite

En aval du pont Régemortes, rive droite

En août 1943, en amont du pont Régemortes sur la rive droite, deux bateaux-lavoirs sont encore en activité. On y accède par un sentier tracé près des cordeaux de fil de fer tendus parallèlement à la rivière pour accrocher le linge à faire sécher.

La patronne du premier bateau, vieux de 60 ans, est Madame Fagnot. Les blanchisseuses viennent y laver leur linge chaque jour à l’heure qui leur convient entre 8 heures et 19 heures après avoir collecté le linge chez leurs clients. Chacune a un emplacement déterminé. Les places sont louées.

Le bateau, d’environ 30 mètres sur 5, est partagé en deux parties dans le sens de la longueur. Des lavoirs ont été aménagés de chaque côté. Une grande table est dressée pour le linge en corbeille dans le sens de la largeur. Des grands baquets sont prévus pour le rinçage. Le linge est mis à bouillir le lundi et le mardi. Pour cette opération, le cuvier est rempli et il est utilisé comme une lessiveuse. Il contient un peu plus de 200 draps. L’eau de l’Allier est pompée avec un petit moteur. Quand la rivière est basse, il faut faire attention à ne pas aspirer le sable. Cette eau est chauffée à l’aide d’une chaudière placée près de la porte. Une haute cheminée sort du toit d’ardoises. Les lots de linge sont identifiables grâce à une médaille de plomb portant un numéro. L’eau de Javel, le bleu pour l’azurage du linge, le savon en pâte ou liquide, le détersif et l’eau chaude sont fournis. À l’extérieur du bateau, un passage est aménagé à 40 centimètres au-dessus de l’eau pour réparer les vitres et les parois abîmées.

Le bateau de Madame Fagnot est démonté en 1944.

Le deuxième bateau, l’Avenir, âgé d’environ 50 ans, a pour patron Monsieur Bissonnier, mutilé de guerre, en fonction depuis 24 ans. Monsieur Bissonnier est surnommé l’amiral et habite sur les quais. Le bateau est retenu par deux chaînes à l'avant, avec deux piquets et une chaîne seulement à l’arrière. Il monte et descend selon le niveau de la rivière. Son apparence est la même que celle du premier. Seule la porte d’entrée est différente. Là aussi, on trouve une chaudière au milieu, un cuvier en bois de très grande taille à droite et une cuve d’eau claire à gauche. La lessive bout à bord le lundi et le mercredi. Cela permet de rendre dès le mardi soir le linge pris aux hôtels le lundi matin. De temps à autre de l’eau de Javel est fournie. Pour les jours de grand froid, un séchoir mécanique est à disposition des lavandières. L’été, le linge est étendu sur les cordeaux en plein air. En 1941, il a fallu réparer les planches que les glaçons, danger constant en hiver, avaient arrachées. Certains de ces glaçons peuvent atteindre plusieurs mètres carrés et une dizaine de centimètres d’épaisseur. Le courant les entraîne rapidement et le choc contre le bateau détériore le bois. Il est arrivé au propriétaire de passer des heures à les détourner avec des épieux ferrés.

Au début de la guerre, il existait un troisième bateau-lavoir, celui de Monsieur Gorce, qui a sombré le 2 janvier 1942. Il avait 110 ans. Ce jour-là, les pompiers ont fait leur possible pour préserver la buanderie en installant une pompe. Une grande partie du linge a pu être récupérée à l’aide de gaffes et de crochets. Le reste a été emporté par la rivière.

En juin 1946, le dernier bateau-lavoir risque de couler à chaque instant ce qui est préjudiciable pour les laveuses professionnelles. La municipalité étudie deux possibilités. L’une se situerait en aval du pont Régemortes. Mais, les différents niveaux des eaux entraîneraient des travaux coûteux. Il faudrait réduire le courant au moyen d’écluses ou confectionner des gradins pour chaque niveau. La deuxième aurait la Font-Vinée pour cadre bien qu’un peu éloigné de la ville. Il y coule sans arrêt un courant d’eau. Il faudrait capter cette eau et la conduire en un lieu choisi ce qui coûterait moins cher que le premier projet

Octobre 1947, Monsieur Bissonnier finit par vendre son bateau-lavoir à Monsieur Molingre lequel le revend à Monsieur Reynaud, chiffonnier rue des Pécheurs parce qu’il ne peut pas effectuer les réparations. Les laveuses, désespérées, assistent à la fin des bateaux-lavoirs. Elles considèrent alors qu’il y a des choses plus utiles que d'ouvrir un cinéma rue du 4-septembre. Elles menacent même d’aller laver leur linge dans le bassin du jardin de la gare. Le 8 octobre, elles jettent leurs sabots à la rivière en guise de protestation. Les pêcheurs et les passants sont surpris de voir une quantité importante de sabots flottants sur l’eau. Certaines laveuses continueront de laver leur linge directement dans la rivière pour gagner leur vie. En effet, le lavoir municipal en projet n’est pas encore construit.

En mars 1949, la municipalité approuve enfin un projet de lavoir communal. Il sera installé en aval du pont Régemortes, rive droite, en face du croisement des rues Félix Mathé et du Manège. Le budget de 1949 prévoit un crédit d’environ 1 800 000 francs. Quelques-uns craignent que l’emplacement choisi ne nuise à l’esthétique des bords d’Allier et que les crues ne le rendent inutilisable. Un autre projet existait, cours de Bercy, pour bénéficier de l’eau chaude apportée par la centrale thermique des hôpitaux. Il ne sera pas retenu.

En septembre de la même année, a lieu une enquête publique qui ne donne lieu à aucune protestation. Le commissaire enquêteur, Monsieur Melin, instituteur honoraire, émet un avis favorable considérant que le lavoir répond à un vœu unanime de la population. Les travaux commenceront dès l’approbation définitive du préfet.

Le lavoir municipal sera construit à 360 mètres environ en aval du pont Régemortes en face de la rue du Manège (à l’emplacement actuel de l’espace utilisé par les joueurs de boules à proximité du palais des sports). Il aura 17 m de long, 7 de large, 3m 30 de haut et comprendra 35 emplacements. Il se composera de deux parties : une de 9 mètres pour le lavage du linge et une de 3m 50 pour le rinçage. Dans le mur pignon, trois gaines de cheminées seront réservées pour les foyers des lessiveuses. L’accès du lavoir sera gratuit. Les laveuses n’auront qu’à fournir le combustible.

Une utilisatrice se rappelle avoir eu recours au lavoir municipal dans les années 50 pour y laver son linge personnel qu'elle transportait dans sa Renault 4 CV.

Louis Delallier

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