Origine et travaux :
En mai 1942, Moulins est coupée en deux par la ligne de démarcation depuis presque deux ans. Dans la partie occupée par l’armée allemande, des ouvriers s’affairent à la construction d’un centre d’autoclaves, au 13 de la rue Gaston, rue Charles Rispal de nos jours. Après l’exécution des canalisations d’eau et de gaz, des serruriers des établissements Soulier posent des poutrelles. C’est François Mitton, architecte moulinois, qui dirige les travaux. Plusieurs entreprises locales vont intervenir dans leur spécialité respective dont la Société des menuisiers de Moulins.
Le Secours national est à l’origine de ce projet. Cet organisme français, créé le 4 août 1914, était chargé d’apporter de l'aide aux militaires, à leurs familles et aux populations civiles victimes. Un décret du 19 octobre 1939 le remet en fonctionnement. Il sert de propagande. Son financement est public (Etat et collectivités). Les bénéfices provenant des ventes des billets de la loterie nationale lui sont reversés dès le mois d'octobre 1940. En 1944, il devient l’Entr’Aide.
En 1941, le Secours national installe quinze centres d’autoclaves dans la région parisienne. Comme leur utilité pour les familles modestes est reconnue, il est décidé de créer, en zone occupée et en zone libre, cent cinquante nouveaux centres.
Le président du Secours national de Moulins obtient l’installation de l’un de ces centres à Moulins, appuyé dans sa demande par le préfet de l’Allier. Son principal argument est le développement des jardins ouvriers et familiaux dans la région moulinoise. La gérance du centre d’autoclaves sera assurée par le président de la Société d’horticulture. Les bureaux du centre sont situés au 17 de la même rue.
Réglementation :
Le Secours national attribue au centre de Moulins 40 000 bocaux d’un litre qui sont vendus par les grossistes du Syndicat de la verrerie. Ces bocaux sont attribués aux membres de la Société d’horticulture, aux familles nombreuses, aux titulaires de jardins ouvriers ou familiaux selon la superficie du jardin et le nombre des membres de la famille au prix de 10 à 12 francs selon la marque, les régions et les modes de transport, en échange d’un bon remis par le Secours national. Les jardins ouvriers et familiaux sont alors au nombre de 1 050. Et, 5 000 cartes de jardinage ont été distribuées.
Quatre autoclaves pourront stériliser 600 à 1 000 bocaux par jour. Ils ne seront que trois au moment de l’ouverture. La pose d’un rayonnage est prévue pour recevoir les bocaux apportés par les clients. Ces bocaux seront numérotés. La stérilisation coûtera trois francs par bocal. Une ristourne sera faite pour les 30 000 premiers.
Le fonctionnement des autoclaves pour la stérilisation des conserves familiales (légumes, fruits) sera assuré par un employé dès son retour d’un stage au laboratoire de la conserve au ministère de la production à Paris.
Plus tard, la mise en bocal de la viande et du poisson sera possible. Les bocaux seront rendus le lendemain. Les aliments devront être préparés soigneusement avant d’être apportés au centre.
Inauguration :
Le centre est inauguré le vendredi 14 août 1942 à 10 heures. Les membres de la Société d’agriculture qui en sera gérante sont invités à visiter l’installation. Parmi les personnalités présentes à la réception, on note le préfet de l’Allier, Lucien Porte, le commandant Sallantin président du Secours national, René Boudet maire de Moulins, M. Bidet directeur des services agricoles, M. Chambron conseiller national, délégué et vice-président de la Société d’agriculture, M. Boyer président de la Société des jardins ouvriers et premier adjoint, M. Treyve délégué horticole du Secours national, M. Tardivat secrétaire général des Jardins ouvriers, M. Page maire d’Avermes, chef de l’Union syndicale corporative agricole, M. Gazet adjoint au maire d’Yzeure, M. de Jubécourt directeur du centre d’autoclavage.
Dans son discours, le délégué horticole du Secours national regrette que le centre n’ait pas pu ouvrir plus tôt, les livraisons des appareils ayant pris plus de temps que prévu. Un troisième appareil de stérilisation reste à recevoir. Il rappelle que le nombre des jardins ouvriers était de 200 en 1940 et qu’en 1942, on en compte 1 100 nouveaux. Le préfet insiste sur la nécessité de créer une « ceinture maraîchère » autour des villes pour leur consommation, car la crise des transports ralentit, voire interrompt, l’arrivée des produits alimentaires. Il affirme qu’il est prêt à réquisitionner des terrains pour que chaque chef de famille puisse cultiver six-cents mètres carrés qui seraient divisés en deux parts égales, l’une pour les pommes de terre et l’autre pour les légumes divers. Grâce à ce centre de conserverie familiale, il espère que le grave problème du ravitaillement durant la période de guerre sera résolu en partie avec la constitution de réserves de nourriture pour l’hiver.
Une démonstration de stérilisation est faite. Des bocaux de légumes sont placés dans un panier métallique descendu dans une cuve hermétiquement close. On remarque que l’autoclave pour la viande est plus petit.
Le jour de l’inauguration, 15 000 bocaux sont déjà arrivés au centre et 15 000 autres sont attendus. La matinée se termine par la dégustation d’un verre de vin blanc et de gâteaux, spécialités bourbonnaises.
Ouverture au public, mercredi 19 août 1942 :
Un nouvel arrivage de bocaux vides est réceptionné la veille de l’ouverture. Dès le premier jour, cent bocaux sont stérilisés. Cent autres sont apportés le jeudi 20 août, et deux cents le vendredi 21. Deux tiers sont composés de légumes et de fruits et un tiers de viande. Le centre est fermé pendant l’hiver et rouvre ses portes au 1er juin de chaque année.
Fonctionnement du centre :
A ses débuts, le centre fonctionne tous les jours, sauf le dimanche, de 8 heures à midi. Les bocaux sont traités dans la journée et rendus le lendemain après-midi.
La viande n’est stérilisée que le mercredi et le samedi matin. Le centre est fermé pendant l’hiver et rouvre ses portes au 1er juin de chaque année.
Les bénéficiaires de l’autoclave peuvent trouver toutes les informations nécessaires à une bonne préparation des aliments dans l’opuscule « Les conserves de famille » édité par le Secours national mis à leur disposition. Les légumes doivent être épluchés, lavés et coupés s’il y a lieu, puis blanchis. Ceux qui sont mal préparés sont refusés. Il faut bien tasser les légumes ou les fruits sans les écraser. Les bocaux doivent contenir du jus jusqu’à environ un centimètre du col. Ce jus peut être un sirop, une saumure, une sauce ou simplement de l’eau. Le livret donne aussi des conseils de préparation selon les types de produits : civet de lièvre ou de lapin, volailles, tripes, rôtis, bœuf mode ou bourguignon, poissons marinés, poissons au vin blanc etc. Tous les bocaux fermés hermétiquement sont acceptés à la stérilisation même ceux qui n’ont pas été fournis par le centre. Ce dernier se fait un devoir de stériliser les boîtes destinées aux prisonniers.
Les bouteilles d’eau minérale, trop fragiles pour supporter la cuisson, ne sont pas acceptées. Les bouchons ou les couvercles attachés avec de la ficelle sont exclus, car ils se rouvrent automatiquement sous l’effet de la chaleur.
La température de stérilisation est de 120° pendant 20 à 45 minutes. Le degré de cuisson est réglé pour ne pas être dépassé. Le chauffage se fait au gaz. Toutes les étapes sont entièrement automatisées. Le degré de température et la pression sont indiqués par des cadrans à aiguille. La fin de l’opération est signalée par une sonnerie.
Un mois plus tard, en septembre 1942, la presse rappelle aux personnes en possession de bons d’achat qu’elles doivent aller les retirer dans la semaine. Ce délai passé, le centre d’autoclavage disposera des bocaux pour les distribuer à de nouveaux titulaires. Le seul commerce moulinois où il est encore possible de se procurer les bocaux est le Bazar du marché à l'angle des rues Gambetta et de la Batterie..
Au fur et à mesure que la saison avance, les produits stérilisés changent. Après les haricots verts, les tomates, les petits-pois et les jeunes carottes arrivent les fruits.
Les chiffres de la saison 1942 communiqués par le directeur du centre sont 1 500 bocaux stérilisés entre le 20 et le 31 août, 4 300 en septembre et 1 000 en octobre.
A partir du 1er juin 1943, le centre ne fonctionne plus que deux fois par semaine, le mardi et le vendredi à cause de la pénurie de gaz. Toutefois, si les bocaux sont trop nombreux, un troisième jour d’ouverture est prévu. Chaque deuxième et dernier samedi du mois, la viande de l’élevage familiale est cuite. En 1943, le Secours national accorde une ristourne de deux francs sur la taxe d’autoclavage qui est de trois francs sans s’engager à la maintenir les années suivantes.
Pendant tout le mois de septembre 1943, un jour de plus d’ouverture hebdomadaire est prévu. Les bocaux de fruits et légumes sont acceptés les mardis, mercredis et vendredis jusqu’à midi. Les deuxième et quatrième samedis du mois restent réservés à la cuisson de la viande provenant de l’élevage familial.
A l’occasion du redémarrage du centre, la vente des bocaux ne se fait plus sous le contrôle du Secours national pour ne pas nuire au commerce de détail qui retrouve la pleine liberté en cette matière. Le Secours national espère, toutefois, qu’une hausse n’interviendra pas et que les bocaux ne disparaîtront pas de la vente.
Le centre ferme ses portes le 30 septembre jusqu'au 1er juin suivant comme tous les ans.
Le 1er juin 1944, la direction annonce que, toujours pour des raisons d’économie de combustible, les jours de cuisson des bocaux seront les mardis et les vendredis seulement. Des joints, des capsules et des pièces de rechange peuvent être demandés par les clients pour les modèles vendus deux ans avant par ses services.
Les bocaux doivent être apportés dès 9 heures, le plus rapidement possible après la cueillette des légumes ou des fruits et doivent être récupérés le lendemain ou le surlendemain au plus tard.
Dans son travail, le directeur du centre, M. de Jubécourt, est épaulé par le délégué horticole du Secours national, M. Treyve.
Le 1er juin 1945, bien que la guerre soit terminée, le centre reprend ses fonctions, car les problèmes d’alimentation sont loin d’être réglés.
Un journaliste moulinois regrette que le centre ne procède plus de la même façon pour la vente des capsules de fermeture. Celles-ci étaient achetées par les clients à qui on ne demandait pas s’ils utiliseraient l’autoclave pour faire stériliser leurs conserves ou s’ils le feraient à domicile. La règle change. Les acheteurs doivent apporter leurs bocaux à l’autoclave pour obtenir ces capsules introuvables ailleurs. Donc, aucun choix ne leur est laissé.
Une mise au point est effectuée dans le même journal dès le lendemain par le président de la Société d’horticulture. Il explique que, la première année, le centre s’est occupé de la distribution directe des capsules et des bocaux, distribution ensuite réservée aux commerces. Le centre a donc vécu sur sa réserve et il n’est pas patenté pour céder les bocaux et les capsules aux clients. Les commerçants n’ayant pas reçu de matériel en 1945, l’Entr’Aide (qui succède au Secours national) a obtenu un déblocage de tôle pour les capsules. 2 000 d’entre elles ont été attribuées à chaque centre. Le président de la Société d’horticulture rappelle que les bocaux qui éclatent au cours de la cuisson sont remplacés et que la Société, devenue propriétaire des appareils, ne prend aucun bénéfice sur la stérilisation des produits. Le prix demandé ne couvre que les frais de manutention, de gaz et d’assurance. De plus, la gérance est assurée par des personnes bénévoles.
Le 1er juin 1946, le centre d’autoclavage rouvre ses portes et reçoit 200 bocaux le jour même. Les centres créés par le Secours national sont repris par l’Entr’Aide depuis 1944. Celle-ci décide de ne plus leur apporter son soutien.
La Société d’agriculture de Moulins qui gère le centre depuis sa création en 1942 prend l’initiative de mettre sur pied une coopérative de transformation pour permettre au centre de continuer à fonctionner, car les services rendus à la population sont importants. Le centre reste ouvert à tous.
Il suffit de se présenter le matin avec ses bocaux garnis auxquels on attribue un numéro métallique correspondant au reçu délivré au client. La stérilisation se fait dans les mêmes conditions que précédemment. La pression est vérifiée au moyen d’une minuterie et la température par un thermomètre enregistreur. Les températures et durées de cuisson peuvent aller de 100 à 115° pendant une demi-heure à 1 heure 30. Il faut compter reprendre les bocaux le lendemain après-midi de leur dépose au centre. Les prix fixés sont justes suffisants pour couvrir les frais de fonctionnement. Ils sont de trois francs pour un bocal d’un demi-litre, de six francs pour un bocal d’un litre et de douze francs pour un bocal de deux litres. Le centre attend l’arrivée de 7 000 nouveaux bocaux à distribuer aux clients.
Le centre fonctionne jusqu’en 1948. Puis, les difficultés techniques et financières liées à la situation économique de l’après-guerre ont raison de lui. Dix-sept autres centres affiliés à la Fédération nationale disparaissent également.
Louis Delallier