Malgré la guerre, la mobilisation, les restrictions alimentaires, le manque de produits de nécessité, les arrivées de réfugiés toujours plus nombreuses (jusqu’à 55 000 Belges annoncés à la mi-mai 1940 à répartir dans les trois arrondissements du département), les anxiogènes distributions de masques à gaz et essais de la sirène d’alarme*, les petits agacements quotidiens et faits divers ne perdent pas de leur acuité.
En janvier, les piétons sont les premiers à être montrés du doigt à cause de leur mauvaise habitude de marcher au milieu de la rue après la tombée de la nuit, sans éclairage, habitude qui provoque de plus en plus d’accidents.
L’éducation des jeunes est également dans le viseur ou plutôt leur manque d’éducation. Ils ne laissent plus le passage sur les trottoirs à leurs aînés. Ils y circulent à plusieurs en véritables propriétaires des lieux, y tiennent conseil comme sur une place publique. Ils trouvent normal que les anciens en descendent et, pour peu, trouveraient ça « marrant ».
Et qui sont ces vauriens qui ont cassé, rue Gambetta, des lampes éclairant une tranchée des travaux de la compagnie du gaz ? Dans cette même tranchée rebouchée, s’est embourbée une charrette chargée de chaises et de fauteuils poussée par trois femmes et un homme.
On déplore dans le même temps la présence de « hordes » de nomades, d’origines plus ou moins exotiques dit la presse reprenant les termes d’un courrier de lecteur. Il a fallu les déloger du cours de Bercy pour les envoyer à Avermes où ils reprennent leurs activités ordinaires du moment, soit mendicité et grappillages. Leurs raisons pour rester sont bien connues des pouvoirs publics qui n’ont pas de prise sur eux : roulotte à réparer, bête malade ou membre de la tribu hospitalisé.
En ce début de premier printemps de guerre, des conducteurs de voitures, motocyclettes et même bicyclettes circulent à 70 km/h dans les rues en pleine affluence. Ils exaspèrent la population quand ils passent à toute vitesse rue d’Allier, un vendredi jour de marché. Le Progrès de l’Allier leur suggère un autre champ d’aventure du côté des frontières de l’est et du nord du pays…
La place de la Liberté est aussi victime de la vitesse excessive de jeunes cyclistes qui semblent vouloir battre des records de déplacement. Près du marché couvert, les automobilistes mal stationnés sont rappelés à l’ordre afin de laisser davantage de place pour les autres
La délinquance ne faiblit pas et touche tous les âges. Vols aux étalages, vols de vélos, dans les autos et dans les garages empoisonnent la vie des habitants. Le coup de filet résultant d’une enquête minutieuse révèle la jeunesse des malfaiteurs : 9 et 10 ans pour deux « indépendants » et 19, 15, 14, 13, 12 ans pour la première bande ainsi que 17, 15 et 13 ans pour la deuxième.
Plus grave, des incendies criminels sont à déplorer la nuit du 8 au 9 mai dans le quartier des Champins-Nomazy :
L’automobile Torpédo Renault 6 CV d’Albert Matichard, mobilisé à l’atelier de chargement, flambe dans la cour de M. Vacheron à Nomazy où elle est remisée. Elle n’est pas assurée contre l’incendie. La carrosserie est détruite. Une remise à Nomazy appartenant à Eustache Potret, débitant à la même adresse, s’embrase à peu près à la même heure. Il faut deux heures aux voisins pour éteindre l’incendie. Seule la petite réserve de charbon est épargnée. Rue des Champins, la capote d’une auto en stationnement prend feu.
A la fin du mois, des caramels suspects sont signalés rue de Bourgogne, aussitôt envoyés à l’analyse. La prudence et la surveillance des enfants ne doivent pas se relâcher. Enfants qui conservent une certaine insouciance et jouent à lancer des bombes à eau, projectile tout nouveau fabriqué avec du bon papier plié de façon à retenir l’eau assez longtemps pour percuter et mouiller le destinataire. On rappelle que le papier est devenu une denrée rare et que ces bombinettes peuvent faire mal compte tenu de leur poids.
Pendant ce temps, pleuvent les procès-verbaux distribués par les chefs des trente-deux îlots du plan de défense passive arrêté par la municipalité. Il s’agit surtout d’un non-respect du camouflage des lumières chez les particuliers ou dans les hôtels notamment.
Signes d’une tension grandissante, une jeune femme de la rue du 14-Juillet déclare à la police avoir vu quelqu’un, vêtu d’un grand capuchon noir, s’enfuir de nuit par son jardin. Juste après, des habitants du quartier obtiennent l’arrestation de deux religieuses soupçonnées d’être des parachutistes ayant atterri quelque part. Les deux femmes, de vraies religieuses, belges, s’étaient égarées en repartant d’une maison où elles avaient veillé un mort. L’individu inconnu, quant à lui, ne devait être qu’un prince charmant repartant de chez sa conquête.
Les choses prendront un tour des plus dramatiques le 18 juin vers 13h 30 quand deux Allemands en automobile s’arrêteront place de l’Hôtel-de-Ville et monteront dans la salle du conseil municipal où les attend le conseil municipal au grand complet.
Louis Delallier
*La sirène est trop peu audible en début d’année. Il est suggéré un fonctionnement simultané avec les sirènes des usines, voire avec les cloches pour alerter au plus vite d’Yzeure, Avermes et Moulins jusqu’à la Madeleine.