Après avoir échappé à la fonte au bénéfice de l’industrie allemande qui la convoitait, la statue de Théodore de Banville a rejoint le jardin de la gare qu’elle avait discrètement quitté, le 12 avril 1944. Transportée par train à Pantin, en Seine-Saint-Denis, elle passe les derniers mois de guerre, cachée à Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis également.
Le 20 mars 1945, des lycéens et lycéennes arrivent en procession jusqu’au pied du monument. Une couronne de papier est posée sur sa tête comme un gage de la sympathie de la jeunesse. Un jeune homme assis sur les genoux de Banville s’adresse à lui avec humour :
« Un type habillé en vert s’est avisé entre deux chopes de bière que tu ferais un obus de 420 très présentable… Le bruit a couru que tu étais collaborateur… Promets-nous maintenant que tu ne repartiras plus. »
Les jeunes gens préviennent le poète tout juste glorifié que des visites plus officielles sont en préparation. Ils promettent de revenir chaque 20 mars pour rappeler que la statue de leur bien-aimé compatriote a échappé au sort que l’occupant réservait aux statues.
Le dimanche 15 avril 1945, les officiels annoncés sont bien là à leur tour. Les pelouses ont été refaites et des tulipes de couleurs vives fleurissent le pied de la statue. La maison Michel a installé un micro et des haut-parleurs pour que la foule profite au mieux des discours. La cérémonie débute à 11 heures. La lyre moulinoise conduite par Monsieur Garcia, les tambours et les clairons dirigés par le commandant Forestier sont prêts à jouer. Monsieur Dobinet secrétaire général de la Préfecture représentant Monsieur le Préfet, Monsieur Henri Gromolard, maire de Moulins et ses adjoints Messieurs Duperroux, Loizel, Dubost et les autres membres du conseil municipal, Messieurs Vérel, inspecteur d’académie, Lachenot proviseur du lycée Banville, Aunanneau censeur, Prélot du comité local de Libération, Mayzonnade secrétaire général de la mairie, Maître Reignier, bâtonnier de l’ordre des avocats, Monsieur Neury de la maison du prisonnier et bien d’autres personnalités se sont empressées de répondre à l’invitation. La police moulinoise sous les ordres de Monsieur Augrandenis contient la foule qui fait cercle autour des pelouses.
Monsieur Parquet professeur de lettres au collège moderne et conseiller municipal est le premier à parler du poète moulinois avec un discours très remarqué. Quatre lycéens délégués rendent à leur tour hommage à Banville. Il s’agit de Guy Clément, Michel Dufour, Raymond François et Henry Mayzonnade qui récitent les vers dont ils sont les auteurs. Le maire rappelle que les lycéens ont fêté les premiers le retour de la statue de Banville en enlevant prématurément la bâche qui la recouvrait et en couronnant le poète. Monsieur Gromolard rend une fois encore hommage à Banville qu’il qualifie de républicain de la première heure et précurseur de la Résistance libératrice. La lyre moulinoise exécute plusieurs morceaux. La cérémonie est clôturée par La Marseillaise.
Tout le monde ne montre pas le même respect. En effet, au cours de la nuit du mardi 5 au mercredi 6 juin 1945, des individus placent entre les bras du poète la plaque de marbre volée chez Buvat marchand de meubles rue de Paris.
* La statue élevée en l’honneur de Théodore de Banville grâce à une souscription publique est l’œuvre de Jean Coulon, sculpteur originaire d’Ébreuil, et de Gustave Baër, architecte moulinois. Banville, assis dans un fauteuil, est vêtu de sa robe de chambre habituelle, coiffé de son béret de velours noir. Zinzolin, son chien, est à ses pieds. Ce monument est inspiré d’un dessin de Georges Rochegrosse, beau-fils de Banville. Il a figuré au Salon des artistes français à Paris en 1895. Le 31 mai 1896, la cérémonie d’inauguration est présidée par le ministre des colonies, André Lebon, présent à Moulins pour distribuer des récompenses aux participants d’un concours agricole.
Louis Delallier