Ce drôle de nom pour une comtesse est celui de son chien. Il se trouve qu’à son époque, le XIXème siècle, Dash était un nom courant pour les chiens. La reine Victoria, elle-même, avait ainsi baptisé son King Charles spaniel.
A Moulins, la future comtesse Dash tient son rôle d’épouse du capitaine des Dragons du Doubs, Eugène-Jules de Poilloüe de Saint-Mars, alors en garnison au quartier Villars (d’octobre 1824 à novembre 1825). Dans l’un des six volumes de ses souvenirs, Mémoires des autres1, elle relate la façon originale de quêter dans les églises moulinoises. Elle-même est quêteuse officielle. On choisissait la quêteuse parmi les femmes de bonne condition sociale, jeunes ou encore élégantes pour attirer l’attention. L’élue (par l’évêque) devait porter une tenue de bal, avoir des fleurs dans les cheveux et arborer quelques bijoux luxueux. Elle était accompagnée d’autres quêteuses moins brillantes et d’un chevalier qu’elle désignait elle-même. Toutes étaient assises sur des fauteuils à la porte de l’église près d’une table sur laquelle était posé un plat en argent. Et toutes savent qu’un homme de la bonne société ne donne pas moins d’un louis à une femme de sa connaissance.
Madame de Poilloüe de Saint-Mars, alias comtesse Dash, est née Gabrielle Anna de Cisternes de Courtiras à Poitiers le 1er août 1804.
Après 10 ans passés au couvent des Dames de la Foi (1811-1821), elle gagne Paris pour continuer son éducation. Sa famille, noble et riche, lui trouve un mari l’année de ses dix-huit ans en la personne du vicomte Eugène-Jules de Poilloüe de Saint-Mars, capitaine au 8e régiment de dragons : « Jeune, beau, riche, c'est un parti qui ne se refuse pas ». La voilà vicomtesse et femme de militaire.
« J'allais commencer cette vie étrange qui n'est pas sans charmes pour la jeunesse, si une position de fortune indépendante permet de se donner certaines aisances et de voyager agréablement. »
Et elle va voyager : Nevers, Moulins, Constance, Suisse orientale, Neuf-Brisach, Colmar, Epinal, Vendôme, etc., auxquels il convient d’ajouter Paris et Versailles, où ses parents se sont installés. Les bals succèdent aux fêtes, mais n’empêchent pas le retour à la vie de garnison, madame la vicomtesse se lasse. Le couple finit par se séparer.
Comme il faut bien vivre et, si possible, pas trop chichement, elle se tourne vers la littérature et le journalisme. Ses fréquentations lui permettent d’approcher Alexandre Dumas et Roger de Beauvoir (romancier, dramaturge, poète).
Journaliste à la Revue de Paris, au Pastel, au Journal des Jeunes Personnes, elle participe, en 1853, au lancement du Mousquetaire, Journal de Monsieur Alexandre Dumas, sous le nom de Marie Michon. Elle est chargée de rendre compte de la vie du grand et de demi-monde, des soirées de concerts et de théâtre. Sa collaboration avec Alexandre Dumas l’amène à publier sous le nom de Dumas quelques romans dont Mémoires d'un aveugle (1853), La Dame de volupté (1863).
Dumas, quant à lui, fait éditer en 1855 Marie Giovanni, journal de voyage d'une Parisienne dont il dit qu’il s’est contenté de mettre de l’ordre dans des notes et documents remis par madame Giovanni. On s’accorde aujourd’hui à dire que la comtesse Dash serait madame Giovanni.
Elle signe de son nom plus de quarante romans qui traitent de ses sujets de prédilection : le grand monde, ses traditions et les aléas amoureux. En ouverture de ses mémoires, la comtesse Dash avertit ainsi le lecteur : « Je suis peu de chose par moi-même. Aussi je parlerai très peu de moi. Ce sont les autres dont je m'occupe. Ce sont les gens célèbres que j'ai connus. Je le ferai sans fiel et sans scandale. Je vénère le passé, je lui reste fidèle : j'ai le culte des souvenirs et celui des regrets. «
Gabrielle décède à Paris le 9 septembre 1872, chez elle 8 rue Nollet dans le 17e arrondissement, après une vie pour le moins hors des sentiers battus. Sur sa tombe2 au cimetière Montmartre, un médaillon en marbre blanc gravé de lettres rouges porte l’inscription commémorative suivante :
« Ici repose
Gabrielle de Cisternes
Marquise de Saint-Mars
Comtesse Dash
1er août 1804 - 9 septembre 1872
PRIEZ POUR ELLE
Ce monument a été élevé
à sa mémoire
PAR SES MEILLEURS AMIS »
On peut lire également cette phrase « Je dors, mais mon cœur veille. »
Louis Delallier
1 les six volumes des Mémoires des autres ont été édités par Albert Lacroix, éditeur des Misérables.
2 Le monument est l’œuvre de l'architecte Maurice du Seigneur. Le médaillon est signé Marquet de Vasselot.