« Je vais gagner ce tour de France si je ne suis pas assassiné avant d’arriver à Paris. » affirme Maurice Garin, vainqueur du Tour 1903.
La première édition du tour de France fut une réussite. Il ne restait qu’à en organiser une deuxième qui aurait pu être la dernière. En effet, une bonne partie des concurrents n’hésitent pas à employer des moyens bien peu sportifs pour tenter de remporter le prix attribué au vainqueur l’année précédente (3 000 anciens francs).
Georges Abran, inspecteur général de l’Auto chargé de l’organisation routière, vient à Moulins, le jeudi 25 mai, rencontrer les membres du Club sportif à leur siège à la Brasserie moderne. Le tour se déroulant sans entraîneurs et sans soigneurs, il convient de prévoir des contrôles mobiles très actifs et nombreux. Les parcours de 1903 et 1904 sont identiques.
Partis de Montgeron dans l’Essonne, le samedi 1er juillet à 21 heures, les coureurs doivent signer le registre qui les attend devant l’hôtel de Paris à Moulins, comme en 1903. Dès 5 heures, au moins 500 personnes se massent déjà aux abords du point de contrôle pour apercevoir les nouvelles vedettes sportives.
À 6h 53’24’ 4/5 très précisément, six hommes poussiéreux et haletants, précédés par un motocycliste, stoppent leurs machines : Maurice Garin (vainqueur du tour 1903), Pierre Chevalier (Bourbonnais), Michel Frédérick (Suisse), Lucien Pothier, Édouard Pillon, Giovanni Gerbi (Italie). Garin dépose une signature large et assurée alors que Chevalier et ses suivants ont bien du mal à tenir leur crayon. Chevalier repart sans perdre un instant. Garin qui a commencé à manger une cuisse de poulet remplit sa sacoche de victuailles pour lui emboîter la roue.
À 7h 3’ 37’ 2/5, César Garin (frère de Maurice et sous les couleurs de l’Italie, leur pays d’origine), Philippe Jousselin, François Beaugendre, Henri Gauban et Émile Lombard font leur entrée. Affamés, ils se jettent sur la nourriture. Jousselin, par commodité, empoigne à deux mains une soupière de bouillon pour boire plus vite.
À 8h 37’ 36’’, apparaissent Eugène Geay et Hippolyte Aucouturier (l’autre Bourbonnais) avec une épaule et le visage en sang à cause d’un accident provoqué par un « pédard* » zigzaguant au dernier contrôle.
À 13h 35’’, le Suisse Anton Jaeck arrive sans son compatriote Charles Laeser qui a dû abandonner. À 10 km après Nevers, ils sont entrés en collision avec un cycliste qui leur a barré la route, intentionnellement ou pas, et sont tombés sur les débris de la bouteille d’eau (en verre) de Vichy de Jaeck. Il leur a fallu retourner à Nevers pour se faire soigner.
Les arrêts au contrôle s’échelonnent jusqu’à 20h10 avec le passage de Maurice Dartigue, Émile Lamboeuf, Octave Doury et P. Dufraix, déjà terriblement distancés. Seuls 68 des 88 hommes au départ de la veille sont parvenus jusqu’à Moulins.
La surveillance du parcours moulinois a été assurée à la fois à bicyclette par le club sportif et en voiture par messieurs Cornette et Bucheron, constructeurs automobiles sur le cours de Bercy.
Nos deux Bourbonnais engagés, Hippolyte Aucouturier et Pierre Chevalier, vont s’illustrer de façon bien différente au cours des six étapes.
Pierre Chevalier met à profit l’obscurité du début de course pour couvrir une partie de la distance Montgeron-Lyon en voiture. Lorsqu’il arrive à Moulins, il semble pourtant bien fatigué… Il terminera 3e à Lyon et sera finalement exclu du classement. Malgré des contrôles inopinés, plusieurs autres cyclistes tentent avec plus ou moins de succès d’emprunter des véhicules à moteur. Tricheries, clous, tessons de bouteille jetés sur la chaussée, accrochages avec le public qui barre la route pour favoriser l’un ou l’autre, intimidations verbales très menaçantes ou physiques avec coups de gourdin de la part de supporters qui auraient pu avoir raison d’une des épreuves cyclistes les plus renommées aujourd’hui.
Hippolyte Aucouturier, originaire de La Celle près de Commentry, remporte les étapes Lyon-Marseille, Marseille-Toulouse, Bordeaux-Nantes et Nantes-Paris. Il est un concurrent redoutable pour le tenant du titre. Le « Terrible » comme on le surnomme a déjà remporté Paris-Roubaix en 1903 et 1904, Bordeaux-Paris en 1903 et 1905. Il sera deuxième du Tour en 1905. Mais à partir de 1906, sa carrière amorce un déclin certain.
Le classement final de ce tour 1904 est remis en question par l’Union vélocipédique de France en décembre. Des disqualifications, des suspensions, une radiation à vie (Lucien Pothier) en découlent.
Maurice Garin (1er), Lucien Pothier (2e), César Garin (3e), Hippolyte Aucouturier (4e) et Henri Cornet (5e) sont remplacés par Henri Cornet (1er), Jean-Baptiste Dortignacq (2e), Aloïs Catteau (3e), Jean Dargassies (4e) et Julien Maitron (5e).
Louis Dellalier
*cycliste à la vitesse exagérée qui effraie les piétons.