Le jeu de diabolo* fait fureur à Moulins comme partout en France en cette année 1907. Les joueurs-jongleurs s’entraînent un peu partout en ville : au jardin de la gare, sur les cours, dans les rues et même sur un terrain spécialement loué où des professeurs enseignent le maniement à leurs élèves. Les parents s’y sont mis aussi.
Lors de l’achat, un prospectus est remis expliquant les qualités innombrables de la pratique du diabolo. Il est le plus hygiénique de tous les exercices, développe la poitrine, fortifie les muscles, donne de l’adresse, du coup d’œil, de la souplesse aux articulations, de la rapidité aux mouvements. Il serait aussi spirituel, ce qui reste plus difficile à démontrer puisqu’il ne s’agit que de lancer une bobine dans les airs à l’aide d’une corde tendue entre deux baguettes et de la rattraper sur ce fil.
Cet engouement crée une émulation et fait naître la volonté de battre des records. C’est ainsi que, pour désigner le champion moulinois, le Club sportif moulinois organise un concours au vélodrome.
Trois épreuves devront faire la différence dans la catégorie filles comme dans la catégorie garçons (âgés de moins de 15 ans) :
Trois essais de hauteur mesurée avec un appareil spécial
Plus grand nombre possible de lancers et rattrapages réussis de suite dans un temps illimité
Fantaisie pour laisser à chacun le soin de choisir des figures pour montrer sa dextérité.
Les engagements sont gratuits et sont pris chez Joseph Baudron, président du Club sportif moulinois, 8 bis rue de Montluçon. Les concurrents et la personne qui les accompagnera pourront entrer librement au vélodrome.
Le dimanche 6 octobre, une fois la réunion cycliste achevée (animée par un orchestre dirigé par Pierre Chaumas de la fanfare yzeurienne), 6 garçons et 17 filles se démènent pour être les meilleurs au diabolo. Le jeune Lacroix l‘emporte avec 1319 lancers sans laisser tomber son diabolo et précède Fournier des Corats et Lafond. Mademoiselle Parisse parvient à lancer son diabolo à 24 mètres de haut. Elle termine première devant mesdemoiselles Mongenet, Thévenin et Buck. Afin d’atténuer la déception chez les jeunes perdants, les organisateurs remettent un petit souvenir à chacun des participants en plus des trois lots dans chacun des deux groupes.
Pendant ce temps de prouesses moulinoises, Marcel Meunier, 12 ans, fils du greffier d’Etampes, devient champion du monde au palais de Crystal de Londres avec 6 000 lancers sans chute en moins de quatre heures. Le prodige a fait preuve de beaucoup de concentration et de patience. L’un de ses lancers frôle le plafond de verre (environ
38 mètres). Il a pu aussi jeter la bobine 65 fois en une minute. Ses exploits le font remarquer du directeur de l’Holborn Empire de Londres qui l’engage aussitôt et lui offre 150 francs par mois. Le prince et la princesse de Galles l’invitent à se produire chez eux. En décembre 1907, il est recruté par le Casino de Paris.
Revenons à Moulins, loin des records mondiaux et des palais princiers, où le diabolo fut à l’origine d’une grande frayeur enfantine. C’était à la mi-août au jardin de la gare. Les enfants s’amusent tranquillement jusqu’au moment où un jeune garçon dans un élan énergique envoie le diabolo si haut qu’il en lâche ses baguettes. Ces dernières retombent, avec leur fil, sur le dos du cygne qui n’en demandait pas tant et qui n’arrive pas à s’en défaire. L’enfant est en larmes. Des passants s’attroupent et réfléchissent à la meilleure solution. Le chien qu’on a envoyé dans l’eau pour tenter de ramener le cygne vers le bord en ressort à toute vitesse effrayé par l’oiseau peu commode. Redoublement des pleurs du « fautif ». Enfin, un homme lance quelques morceaux de pain dans l’eau que le cygne attrape en s’approchant assez pour que l’on puisse retirer le jouet avec une canne. Tout est bien qui finit bien !
Louis Delallier
*ce jeu millénaire est originaire de Chine. Charles Burger Fry, éditeur du magazine de sport The Outdoor Magazine, serait à l’origine du nom « diabolo » en 1906. Partant de l’appellation française « diable », il aurait créé un jeu de mot avec le verbe grec : διαϐάλλω (diabállô) signifiant « lancer à travers ».