Madame Bergerolles - The Chicago examiner volume 13 n° 48, juin 1913 / Les deux mères et les deux filles - Le Petit Parisien 1er mai 1933
L’histoire commence comme un conte de fées et les presses nationale et internationale telles que Le Petit Parisien, Le Matin, The Colonist, The Chicago examiner qui en fait une pleine page illustrée de photos et d’élégantes caricatures, s’en emparent sans délai.
Par un beau soir de mars 1913, Lucie Bergerolles, blanchisseuse, veuve, la soixantaine, se rend au cinématographe. Elle ne se doute pas des conséquences qu’aura cette sortie. Dès les premières minutes du film, elle reconnaît sa fille sur l’écran, Albertine*, partie depuis 16 ans et qu’elle croyait morte. Convaincue, elle se précipite chez le directeur de l’établissement à qui elle annonce l’exceptionnelle nouvelle. Ce dernier ne peut que lui répondre que l’actrice est Mistinguett** et vit à Paris. Qu’à cela ne tienne, madame Bergerolles « montera » à Paris pour revoir enfin sa fille. Au sujet de ces retrouvailles, deux versions journalistiques se contredisent. L’une raconte que de la gare de Lyon, la Moulinoise fait envoyer un pneumatique à Mistinguett lui indiquant que sa mère l’attend à la gare. L’autre parle de son arrivée presque tonitruante boulevard des Capucines chez Mistinguett.
Dans les deux cas, Mistinguett ne peut que s’étonner fortement de cette filiation, d’autant plus que sa mère vit avec elle. Et elle ne peut qu’éconduire avec ménagement madame Bergerolles qui n’apprécie pas du tout son attitude. Elle se serait exclamée « Tu auras de mes nouvelles, ingrate » bien que Mistinguett lui ait donné un louis pour ses frais.
Les journalistes emballés par cette affaire originale interrogent bien entendu les deux femmes. La comédienne accorde une interview au journal La Liberté. Elle rapporte des propos de sa prétendue mère : Pardié ! C’est pas qu’elle y ressemble tant que ça à mon Albertine, c’te Mistinguett, mais c’est elle tout de même ! Ces femmes qui sont enfarinées, on ne les reconnaît plus. D’abord, on m’a dit de ne pas causer de ça aux journalistes.
Monsieur Samuel, directeur des Variétés, plaide la cause de madame Bergerolles auprès de sa vedette en lui demandant de ne pas laisser sa mère crever de faim. Mistinguett ne peut que répéter que cette femme n’est pas sa mère, ce à quoi Samuel réplique qu’il faut l’aider quand même. Mistinguett propose alors un peu d’argent, mais ce n’est pas ce qui convient à Madame Bergerolles qui veut sa fille et une pension. Elle inonde alors sa supposée progéniture de lettres quasi quotidiennes.
La justice s’en mêle à son tour après que la police moulinoise a considéré que rien ne s’oppose à ce que Jeanne Bourgeois, alias Mistinguett, soit Albertine… avis des plus perturbants pour madame Bergerolles qui sollicite l’assistance judicaire. Une commission rogatoire est délivrée au parquet de Paris pour vérification, lequel bureau se déclare incompétent et transmet le dossier au bureau de la Seine qui le rejette.
Lucie Bergerolles, qui est dans une situation financière difficile et cherche un emploi de femme de ménage, de préférence dans une cure, ne trouvera pas une fille de substitution, ni un appui financier chez l’actrice-chanteuse. Cette dernière ne pouvait pas être Albertine, qui fut institutrice au Donjon, puis à Neuilly-le-Réal avant de mener une vie qualifiée d’aventureuse. Une rumeur dit qu’elle se serait expatriée en Russie pour apprendre le français aux enfants d’une comtesse russe. Il est probable qu’il n’en était rien car, le 4 juin 1916, elle se suicidera rue Lafayette à Paris où elle vivait. Sur son acte de décès ses parents sont déclarés inconnus. Cela laisse supposer que sa pauvre mère ne saura rien de sa fin tragique. Lucie Bergerolles décède le 16 mars 1921 à Moulins. Elle avait 65 ans.
Louis Delallier
*Albertine Bergerolles est née à Moulins, rue de la Flèche, le 1er décembre 1875. Son père était Auguste Bergerolles, marchand épicier, puis inspecteur au marché couvert. Il est mort le 11 mai 1897 à l’âge de 51 ans.
**De son vrai nom, Jeanne Bourgeois, elle est née à Enghien-les-Bains en 1875 au 22 rue de Paris.