Au début du mois, la nouvelle est l’objet de bien des conversations : dans une habitation de la rue Claude-Duret, on déplore 10 malades atteints de la variole dont Marie Senet, âgée de 38 ans, épouse de Jules Gaumet et maman de Marcelle 5 ans et Adrienne 3 ans, meurt le 5. Peu après, un autre foyer est découvert rue Michelet, parallèle à la rue Claude-Duret. Le docteur Lougnon est chargé du suivi des malades. Il conseille fortement à l’entourage d’appliquer des mesures strictes de désinfection pour éviter une dissémination dans toute la ville. Il en appelle au maire pour faire interdire les fêtes des quartiers des Garceaux et de la Font-Vinée. Les agents de police de service dans le secteur sont aussitôt revaccinés.
Le docteur Régnier, médecin des épidémies, emboîte le pas à son collègue Lougnon pour demander une revaccination de la population sans délai. Consciente du grave danger qui pèse sur les moulinois et leurs visiteurs, la municipalité lance des séances publiques et gratuites le dimanche 11 et le lundi 12 août.
Les volontaires peuvent se présenter
à l’école de la Madeleine, rue de l’Ancien-Dépôt dès 8h 30 (actuel siège de l’UPAM rue de Bernage),
à l’hôtel de ville,
à l’école de madame Magnoux, rue des Garceaux,
à l’école de monsieur Chevrier, rue du Jeu-de-Paume,
au gymnase municipal, boulevard de Courtais,
à l’école de Mlle Rollet, rue Louis-Blanc,
à l’école maternelle de la rue de Decize,
où les docteurs Berthomier, Lougnon, Dujon, Reignier et Lejeune sont à la tâche.
De leur côté, les docteurs Petit et Guéneau vaccinent à leur cabinet.
À l’hôtel de ville, avant l’ouverture, déjà les gens se pressent. L’atmosphère est bon enfant. On bavarde gaiment en attendant le début des opérations. Les femmes et jeunes filles forment le gros de la troupe. De mères sont venues nombreuses avec leurs enfants dont certains sont apeurés par l’agitation environnante. La salle des mariages qui sert de salle d’attente est bien remplie malgré les risques de contamination…
A côté, dans la salle de l’état-civil, le docteur Lougnon prépare les tubes contenant les vaccins reçus de l’institut Pasteur. Monsieur Lannes, commissaire de police, a personnellement pris le service d’ordre en main.
Et c’est une longue succession de bras qu’on tend au médecin dans la bonne humeur. Le procédé vaccinal se décompose comme suit : les deux extrémités des tubes sont enlevées. Le docteur Lougnon fait tomber en deux endroits du bras, en soufflant, des gouttes de vaccin qu’il fait pénétrer en enfonçant sa lancette plusieurs fois. Tout se passe très vite et sans bousculade. Un agent de police qui a endossé le rôle d’assistant médical a pour mission de tremper les lancettes vaccinales après chaque usage dans un récipient d’eau bouillante posé sur une lampe à alcool.
Dans les six centres, plus de 2 500 personnes sont revaccinées en deux jours sans compter celles passées par les cabinets médicaux et les cabinets des sages-femmes. Comme on a dû refuser du monde, une troisième journée est organisée le mercredi 14 août :
à l’école maternelle de la rue de Decize (8 h, docteur Dujon),
à l’école de Mlle Rollet rue Louis-Blanc (9 h, docteur Lougnon),
à l’école de la rue du Jeu-de-Paume (9h, docteur Reignier).
Entre-temps, le matin du 12, un deuxième décès est annoncé rue Claude-Duret, celui de Georges Charnay, 74 ans, journalier.
Mais fort heureusement, le bilan du 20 août atteste qu’il n’y a plus de nouveaux cas. Il ne subsiste que de rares signalements de varioloïde (forme atténuée de la variole) dont les porteurs sont tous convalescents. Deux autres cas de variole (mari et femme) sont toutefois détectés le 22 septembre, au 33 de la rue de Lyon, toujours dans le même secteur de la ville. Ce sera le dernier soubresaut de la maladie pour cette fois.
Quelques mois plus tard, l’article 6 de la loi du 15 février 1902 stipule que la vaccination antivariolique est obligatoire au cours de la première année de la vie ainsi que la revaccination au cours de la onzième et de la vingt et unième année.
En mai 1907, le maire de Moulins fait un rappel de cette loi dans la presse en précisant qu’une dernière revaccination à 21 ans n’est pas un gage de préservation de la variole pour le reste de l’existence. Il recommande à ses administrés de plus de 21 ans de profiter des séances gratuites qui vont se tenir les jours suivants.
Cette recommandation n’est pas du goût de tout le monde. Le Courrier de l’Allier est destinataire d’une lettre signée « Un groupe de demoiselles » qui requièrent l’avis du directeur du journal. Celles-ci, contrariées par l’avis municipal, affirment haut et fort qu’à 21 ans elles savent bien ce qu’elles ont à faire et n’acceptent pas qu’on leur impose une quelconque vaccination. Elles concluent qu’elles ne sont pas disposées à se laisser conduire par le bout du nez… Le journaliste qui leur répond ne peut que les inviter à se faire immuniser contre la variole car la loi est formelle et faite dans un excellent but.
Au XXIe siècle, ces jeunes personnes auraient au moins créé un groupe Facebook !
Louis Delallier