La soirée est annoncée comme unique dans les deux sens du terme, c’est-à-dire du jamais vu à Moulins et une seule fois.
Le syndicat d’initiatives moulinois propose un spectacle de chansonniers qui se veut l’égal des cabarets montmartrois où des artistes chantent ou font chanter leurs œuvres avant de jouer une courte revue aux moyens modestes, mais où l’esprit règne en maître.
Le lundi 21 janvier 1935 vers 20h 30, la salle du cinéma l’Artistic (entrée place Garibaldi) se remplit peu à peu d’amateurs enthousiastes à l’idée d’assister pour la première fois à une représentation typiquement bourbonnaise spirituelle et joyeuse à la mode parisienne (entrées 5 et 6 francs).
Au cours de la première partie se succèdent quelques créateurs littéraires du cru dont certains lisent eux-mêmes leurs écrits. Louis Houot lit un long poème de Gabriel Fontenille sur Moulins, un sonnet et une chansonnette de Pierre Trimouillat*. Henri Loup habillé en paysan bourbonnais dit quelques poèmes en patois de Marie Didier tout en rouerie, naturel et bon sens. Gabriel Fontenille lit un sonnet d’Émile Guillaumin et chante « Les fendeurs », version bourbonnaise des « Trois p’tits tambours ». Il termine sa prestation par une bouffonnerie du mystérieux « Veilleur du beffroy » sous les rires de l’assistance.
R. Charles le rugbyman, à qui on ne connaissait pas ce talent de la scène, lit avec émotion et sensibilité deux poèmes d’Edmond Genest et un de Robert Haëgelin. Louis Houot revient pour déclamer ses œuvres « Le rêve du poète » et « la chanson de la forêt » après lecture d’un délicat poème d’Octave Cote.
Marcel Contier, surnommé le « ch’tit Contier » par ses amis (il a alors 22 ans), mime et dit « Le Mazier », « L’yeu-yo » « Le tableau du mariage » dont il est l’auteur pour lesquels il reçoit une véritable ovation
Un entracte permet de préparer la deuxième partie qui sera, elle aussi, un triomphe. La revue de cabaret, écrite par le Veilleur du beffroy et Marcel Contier est mise en musique par Gilbert Bernard. Elle comprend un acte et trois tableaux. Les trois personnages sont brillamment interprétés par mademoiselle Duranton et messieurs Fontenille et Noël. La jeune femme suscite l’admiration générale grâce à son jeu naturel, intelligent et spontané dans le rôle de la « ch’tite gate » moulinoise, cousine germaine de la midinette parisienne.
Les deux concepteurs de cette soirée exceptionnelle, Gabriel Fontenille et Marcel Contier, sont chaleureusement félicités et fortement incités à ne pas en rester là. En ces temps de crise, les bons moments sont rares entend-on répéter par les spectateurs qui retrouvent le froid hivernal de la rue.
Louis Delallier
*Pierre Trimouillat (1858-1929) est moulinois d’origine. Employé à la préfecture de police de la Seine, il se produit aussi au cabaret parisien Le Chat noir et au Gringoire à l’étage du café Procope.