Pour le bal préfectoral du samedi 1er février 1902, Edgar Combes*, préfet en poste, se dépense sans compter. C’est sa grande affaire au point de négliger la politique et même d’en oublier de laïciser de nouvelles écoles et de bousculer ses adversaires ironise le Courrier de l’Allier (nous sommes à 3 ans de la loi de séparation des Églises et de l’Etat portée par papa, Emile Combes, alors président du Conseil).
Cela fait seize ans qu’un tel événement ne s’était pas produit. C’était en 1886 du temps du préfet Félix Duflos.
Des tapissiers, des miroitiers, gaziers et fleuristes travaillent sans relâche pour terminer dans les temps. La grande salle à manger du rez-de-chaussée fera office de vestiaire. Les deux grands salons du 1er étage et la salle de billard aux fenêtres occultées et fleuries par les établissements Treyve recevront les danseurs et l’orchestre tzigane parisien recruté par monsieur le préfet. Ce dernier a obtenu le prêt par la compagnie fermière de Vichy de chaises dorées tout à fait dignes de servir de « reposoir » aux invités, tous de qualité naturellement. Cent-cinquante becs Auer** éclaireront et réchaufferont les salles de réception.
Chacun pourra se restaurer au buffet de la très réputée maison Potel et Chabot de Paris dans la petite salle à manger du 1er étage et profiter de la salle de jeu installée dans la chambre occupée par le président Félix Faure probablement lors de sa venue dans l'Allier pour les grandes manoeuvres de septembre 1898.
Pour ne rien laisser au hasard, monsieur Combes a même organisé une répétition générale de la farandole (ou cotillon) aux accessoires commandés à Paris. Mademoiselle Trimoulier, fille du vice-président du conseil de préfecture, et Louis Tintant, ingénieur des Ponts et Chaussées, ont été désignés pour la conduire.
Le grand jour enfin venu, à 21h 30, monsieur le préfet et madame s’apprêtent à accueillir près de 400 personnes (sur 830 invitations lancées, 500 retours ont été enregistrés), toutes dans le respect des codes du savoir-vivre une telle réception. L’arrivée de fonctionnaires, de personnalités politiques de premier plan, d’officiers de la garnison, de relations personnelles des Combes les assurent déjà d’une réussite complète. A l’évidence, le manque de place est le revers de ce succès. Il sera quasiment impossible de bien danser avant trois heures du matin sur les pistes cernées par trois rangées des chaises vichyssoises. Et pourtant l’orchestre dirigé par Eugène Damaré***, monocle vissé à l’œil, est à la hauteur des attentes préfectorales.
Dans cet entre-soi bourbonnais, se côtoient le docteur Jules Gacon, président du conseil général, Henri Péronneau et le docteur Gabriel Delarue, députés radicaux-socialistes, Joseph Sorrel, maire de Moulins, Louis Lasteyras, maire radical-socialiste de Vichy et Ferdinand Desbrest, ancien maire, messieurs Bletterie, Régnier, Aubel et Verne, futurs candidats à quelque élection. Les sénateurs, eux, sont absents. Les trois sous-préfets, tous les chefs de service et les principaux fonctionnaires des administrations, les colonels des chasseurs et du train, nombre d’officiers des garnisons voisines, le colonel de Lormes, commandant la 13e légion de gendarmerie. Monsieur Fère, directeur de la compagnie fermière de Vichy, est là aussi et peut voir ses chaises bien alignées sous les ors de la République.
Gabriel Delarue, député-maire de Gannat et directeur du Radical de l’Allier, n’hésite pas à féliciter son hôte. Il rappelle que la préfecture était bien moins gaie du temps de Gaston Diény, « ce huguenot triste », prédécesseur d’Edgar Combes.
La soirée devenue matinale… prend fin à 7h 10 avec comme seul regret que la vaste salle du conseil général n’ait pas été ouverte. Il se dit qu’Edgar Combes a bien travaillé à son avancement. L’avenir confirmera ces perfides prévisions !
Louis Delallier
*Edgar Combes (1864-1907) reste préfet de l’Allier du 24 septembre 1900 au 9 septembre 1902 pour prendre les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Intérieur. En 1905, il devient conseiller d’Etat. Il épouse le 19 décembre 1892 à Pons en Charente-Maritime Sophie Hall-Cutler née à Boston en 1866.
**Sorte de bec de gaz muni d’un manchon Auer, du nom de son inventeur. Cette petite coiffe en tissu est imprégnée de substances qui produisent une lumière très brillante sous l’action de la chaleur.
***Eugène Damaré (1840-1919). D’abord petite flûte des concerts Arban, il devient chef d’orchestre des fêtes de l’Hôtel de Ville de Paris. Ses compositions pour concerts et bals sont jouées partout en France dans les kiosques, théâtres et casinos (Deauville, Cannes, Enghien, Vichy, etc.).