Dès le premier tirage des numéros gagnants de la loterie nationale*, le 7 novembre 1933, la chance sourit à quelques Moulinois et autres Bourbonnais séduits par les sirènes de la fortune. Dès le lendemain, la grande nouvelle fait le tour de la ville : deux gros lots pour Moulins ! et partout, on s’interroge sur l’identité des heureux bénéficiaires.
On finit par savoir qu’un maçon de l’entreprise Loulergue, M. Adam, habitant les Bataillots, et un employé (qui restera anonyme) d’un établissement militaire perçoivent chacun 100 000 francs, une somme rondelette pour des gens modestes. La trésorerie générale de Moulins a également vendu 3 billets rapportant chacun 10 000 francs. S’ajoutent un 4e vainqueur de 10 000 francs, plusieurs lots de 200 francs, un de 10 000 francs à Gannat et de 100 000 francs à Neuilly-le-Réal pour dix jeunes gens qui ont largement fêté l’événement !
Le tirage de la deuxième tranche, fin novembre, est encore très favorable aux Bourbonnais : quatre billets à 500 000 francs, un à 100 000, quatre à 50 000 et cinq à 10 000. Joseph Schojnacki, Polonais de Vichy, 28 ans, apprend qu’il empoche 500 000 francs alors qu’il est attablé au café avec des amis. Aussitôt, il se rend à l’usine de contreplaqué où il travaille pour demander son compte. Il a la ferme intention de profiter de la vie, mais sans savoir encore de quelle façon. Un lot de 50 000 francs va à Gilbert James, rédacteur à la sous-préfecture de Lapalisse, et un second à un groupe d’employés de la maroquinerie Barthelot de Lapalisse qui ont acheté un carnet complet.
Le lendemain des tirages, les lauréats ont la possibilité de se déplacer à Paris, au pavillon de Flore, où les accueille M. Congnié, directeur des services de la Loterie. Il n’est pas le seul à les attendre de pied ferme. Les photographes se massent pour les saisir sur le vif, ce qui en dérange plus d’un. Faire la une des journaux, voire de son journal local, n’est pas un gage de tranquillité lorsqu’on devient possesseur de liquidités importantes.
Un an plus tard juste après le tirage du 14 novembre, un bruit court dans la ville de Moulins. De nouveaux chanceux viennent d’être désignés par le hasard. Leurs noms et adresses sont révélés par le Courrier de l’Allier aussi bien que par L’Œuvre, La Mayenne, Le Matin, L’Ami du Peuple, Le Quotidien, L’Ouest Eclair ou Le Petit Parisien et autres quotidiens du 16 novembre. Il s’agit de Raymond Berthias, 35 ans, chef d’atelier aux Autobus départementaux et Jean-Baptiste Ferré, 50 ans, marchand forain, respectivement aux 7 et 14 place de la Liberté et de M. Ponthonnier, chauffeur au garage Circot, 10 rue Louis-Blanc, qui auront à se partager un million de francs. Pour ce tirage, les trois amis voulaient un deuxième billet qu’ils n’ont pas trouvé à Moulins. C’est donc Jean-Baptiste Ferré qui en a fait l’emplette à la Banque régionale du centre de Saint-Pierre-le-Moûtier où il avait à se rendre. Tous les trois sont mariés et pères de quatre fillettes en tout. Solange Berthias, vendeuse en confection, est la première à être informée par Monsieur Damé, directeur de la succursale de cette banque à Moulins.
Cette aubaine financière, bien que royale, est encore en deçà du gros lot de 2 500 000 francs qui revient à deux beaux-frères de Banyuls, Bonaventure Terradell, 44 ans, boucher route de Port-Vendres, et Lucien Narcis, 45 ans, menuisier sur la place. Chacun s’était procuré un billet dans un bureau de tabac en se promettant de partager en cas de victoire. Jusque-là, ils avaient participé à tous les tirages avec peu de réussite. Les familles s’étaient réunies dans l’arrière-boutique de la boucherie pour écouter le tirage en direct à la radio. On peut imaginer l’incrédulité d’abord, la fébrilité en vérifiant les chiffres (2, 4, 1, 6, 0 et 1), les exclamations joyeuses et peut-être les embrassades effrénées et sans doute une nuit peu reposante à tirer des plans sur la comète. Une chose est certaine toutefois, les deux artisans vont continuer à exercer et ont l’intention de partager avec dix-sept membres de leur famille.
S’ils se sont rendus à Paris pour encaisser leurs gains, peut-être auront-ils croisé nos Moulinois ou les deux employés de banque qui, dit-on, sont repartis aussi tristes, en apparence, qu’à leur arrivée malgré le million reçu, ou encore quatre mécaniciens qui se répartissent la même somme, voire les quatre sapeurs-pompiers de Marseille millionnaires également.
Un huissier de Saint-Sernin-sur-Rance dans l’Aveyron, M. Laberty, a failli, quant à lui, commettre la plus grande erreur de sa vie. Il croyait être perdant avant de s’apercevoir que son billet était valable pour la 2e tranche, celle d’octobre, et qu’il représentait un million de francs. La loterie est un jeu qui nécessite d’avoir les nerfs solides…
Louis Delallier
*La Loterie nationale est créée par décret du 22 juillet 1933 car il faut bien venir en aide aux invalides de guerre et aux anciens combattants et en même temps aux victimes de calamités agricoles. Le premier tirage se déroule à Paris au Trocadéro le 7 novembre 1933 devant 5 000 personnes. Paul Bonhoure, coiffeur à Tarascon, reçoit 5 000 000 de francs. Après avoir cédé son salon à son second, il s’offre une propriété de 50 hectares à Beaucaire et une grosse voiture. Mais sa médiatisation lui vaut une importante quantité de courriers sans scrupules, ce qui incitera les gagnants suivants à plus de discrétion. Le prix des billets, 100 francs, s’avérant trop cher, des 5e et des 10e sont proposés à la vente l’année suivante. Le public populaire s’élargit ainsi.