Les Moulinois souhaitaient se prémunir des incendies, au moins de leur gravité, en se dotant d’une sirène électrique du même type que celles de Montluçon et de Clermont-Ferrand. Par sa position très élevée, Jacquemart aurait fait l’affaire, mais les dépenses d’installation à une telle hauteur ont été jugées excessives. Le choix de la municipalité se porte sur un emplacement à l’arrière du fronton de l’hôtel de ville juste en face de la tour-horloge. Elle donne un avis favorable à la fin du mois de septembre. Le Progrès de l’Allier annonce déjà la bonne nouvelle le 22 octobre 1924.
La ville sera divisée en quatre secteurs numérotés de 1 à 4 délimités par les deux artères principales : rues de Bourgogne, d’Allier et Régemortes/rues de Lyon, des Couteliers, de la Flèche, de l’Horloge, François-Péron et de Paris. Chacun est déjà pourvu d’un poste (Hôtel de ville, abattoirs place aux Foires, rue des Garceaux et rue des Grèves). En cas d’incendie : un signal prolongé donnera l’alarme suivi d’un, deux, trois ou quatre coups plus brefs selon le quartier.
Au début, les choses risquent de ne pas se dérouler dans la sérénité. En effet, avant l’installation d’un service téléphonique de nuit, il conviendra d’aller prévenir le gardien de la sirène, puis d’aller d’urgence à l’Université populaire, rue Diderot, pour prévenir l’adjudant des pompiers lequel alertera l’un des six agents logés sur place. Le conducteur de l’arroseuse municipale devra alors se déplacer jusqu’à la rue Mathieu-de-Dombasle où elle est remisée. Il lui restera à la remplir à la première bouche à eau sur son passage vers le lieu de l’incendie. Pendant ce temps, le premier gardien averti déclenchera la sirène. Ouf !
La mise en place de l’avantageux appareil avertisseur se déroule le vendredi 12 décembre. D’un poids de 110 kg, il est fixé sur une plateforme de chêne recouverte de zinc, sous un dôme en fonte. Un moteur électrique permet de l’actionner depuis le commissariat de police situé dans les locaux de la mairie. On procède à des essais à 11 heures en présence M. Pourpognot, lieutenant des sapeurs-pompiers, afin de comparer ensuite avec le son des sirènes des usines qui annoncent la sortie des ateliers. Constat est fait que si le spécialiste de l’incendie s’avère satisfait, la population, elle, n’a rien remarqué au-delà de quatre à cinq cents mètres. Le fournisseur ayant assuré une portée de quatre kilomètres, il lui revient de procéder aux réglages indispensables.
La rapidité n’est pas de mise car en février et au début du mois de mars 1925, la presse s’amuse à rappeler qu’à cinq cents mètres de Jacquemart, on ne distingue pas la sirène d’incendie des coups de sifflets des locomotives du Paris-Orléans. Ceux qui s’y connaissent affirment que c’est à cause des bruits diurnes. Des tests de nuit seront effectués. Le Progrès de l’Allier y va de ses prédictions : on entendra la sirène avertisseuse d’incendie à Clermont-Ferrand en 3096 !!!
Le Courrier de l’Allier se joint aux railleries en intitulant un de ses entrefilets du 15 mars « La sirène et le crocodile » et donne en exemple le retentissement d’un signal la veille vers 8h 30. On s’inquiète. Un incendie ? On se renseigne. Mais au commissariat tout est calme. Pas d’alerte reçue. Il s’agit encore d’une confusion avec le son du crocodile (ainsi nomme-t-on l’avertissement sonore d’une locomotive à cette époque). Mais à trop souvent crier au loup, on risque l’absence de réaction quand le danger sera vraiment là.
En mai, il est toujours question de remplacement ou de modification du système aux frais de la Société des constructions électriques.
Août, le feuilleton continue : la sirène utilisée aussi dans l’égrènement des heures pour suppléer Jacquemart parti en réparation fait parler d’elle pour son quasi-silence. Elle est à peine audible fenêtres ouvertes et même sans circulation dans la rue. Elle ne réveillerait pas un pompier en pleine nuit s’émeut-on ! « Une sirène d’alarme doit se distinguer par une voix alarmante ». Qu’à cela ne tienne ! Un agent municipal expérimente de brèves coupures de la sirène lorsqu’elle émet, assuré qu’elle se distinguera des locomotives et des sirènes d’usines. Il n’en faut pas plus pour de nouvelles moqueries journalistiques. Ce son inédit est comparé aux petits animaux en baudruche gonflables qui se dégonflent en sifflant de moins en moins fort. Un bon point toutefois est reconnu : son originalité le fait remarquer.
Le violent incendie du 9 août 1926, dans les remises de M. Brun, rue de la Fraternité, confirme l’affirmation, un an plus tôt, qui paraissait exagérée : des pompiers qui n’ont pas entendu l’appel de la sirène arrivent en ordre dispersé…
Après ces désordres et ratés, les choses se mettent progressivement en place. La sirène remplira son office et ne sera plus l’objet de plaisanteries.
Louis Delallier