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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Février 1901, les demoiselles de magasin peuvent s’asseoir

Publié le 15 Septembre 2018 par Louisdelallier in Commerce

James Tissot, La demoiselle de magasin, 1883-1885

James Tissot, La demoiselle de magasin, 1883-1885

Bonne nouvelle pour les demoiselles de magasin, elles vont enfin pouvoir s’asseoir pendant leurs journées de travail qui peuvent s’étaler sur une durée de 10 à 12 heures. Jusque-là, elles devaient rester debout en toutes circonstances et malgré les dommages que cela pouvait causer à leur santé.

Voici un extrait du Gil Blas du 16 janvier 1882 :

« Tout le jour, les malheureuses sont debout. Avez-vous jamais pensé à l’horreur de ce supplice ? C’est la torture contraire, mais égale, à celle des ouvrières toujours assises. Ces commises, qui sont des femmes, qui sont pétries de cette argile idéale chantée par Victor Hugo, qui parfois même sont de jolies femmes, qui au moins sont de jeunes femmes, ces employées font une besogne aussi accablante que celle d’un facteur. Réfléchissez, messieurs, et voyez si cela ne fait pas mal à penser.

Je me suis laissé dire que certaines d’entre elles, à ce métier, s’usaient la plante des pieds, et tombaient malades, la peau pleine d’ampoules, comme un chien après un long jour de chasse. Est-ce vrai ? Ce détail affreux, que je dévoile ainsi qu’on me l’a donné, sans périphrase, n’est-il pas abominable ?

Réfléchissez, en outre, au noble motif qui les pousse à endurer de tels maux. Songez que ces espèces de damnées n’affrontent cet enfer, où souffre leur vertu, que pour éviter l’enfer où elles pourraient se pavaner et prendre du bon temps dans le vice.

Si dépravés que vous soyez, messieurs nos maîtres, se peut-il que nul de vous n’éprouve une respectueuse admiration devant tant de courage ? En vérité, on le croirait, et il semble que vous gardiez rancune à ces vertueuses qui ont trouvé moyen d’échapper à l’esclavage de vos caprices. »

Elles sont manutentionnaires, vendeuses, et voilà qu’en cette toute fin du XIXème siècle, le législateur français en arrive à se pencher sur leurs conditions de travail. Prenant exemple sur l’Angleterre où un siège pour trois employées est requis, il va plus loin avec la loi du 29 décembre 1900. Celle-ci fixe les conditions de travail des femmes dans les magasins, boutiques et autres locaux en dépendant avec ce premier article très clair :

« Les magasins, boutiques et autres locaux en dépendant, dans lesquels des marchandises et objets divers sont manutentionnés ou offerts au public par un personnel féminin, devront être, dans chaque salle, munis d’un nombre de sièges égal à celui des femmes qui y sont employées. »

Il est précisé que les inspecteurs du travail sont chargés d’assurer l’exécution de la présente loi en entrant dans tous les établissements visés par cet article. Les manquements sont passibles d’une amende de 5 à 15 francs.

La mise en application est effective le vendredi 1er février 1901 avec affichage obligatoire des conditions de la loi. Les sièges doivent être distincts de ceux mis à la disposition de la clientèle.

A Moulins, un entrefilet dans la presse rappelle aux commerçants moulinois l’entrée en vigueur de cette obligation déjà très respectée à Paris assure-t-on.

Malheureusement, la réalité est bien moins idyllique. Dès le mois de septembre 1901, à Lyon, le juge de paix rend un jugement pour le moins sévère à l’encontre d’un patron qui avait eu la malencontreuse bonne intention de laisser des sièges à la disposition de ses employées chargées de s’occuper de marchandises exposées à l’extérieur de son magasin. La loi stipule que des sièges doivent être installés dans « chaque salle », autrement dit à l’intérieur… C’est un inspecteur du travail qui avait signalé cette transgression inacceptable !

Neuf ans plus tard, en mai 1909, Marcel France rapporte dans « Le passe-temps et le parterre réunis » que les chaises sont bien présentes, mais seulement pour l’éventualité d’une inspection. Il est très inquiet sur le sort réservé à ces femmes mal considérées, malmenées par leur hiérarchie et la clientèle, ces femmes qui doivent accepter les caprices des acheteurs ou des acheteuses en souriant. Il donne comme exemple l’achat de quelques centimètres de rubans après que la cliente a fait déplacer et dérouler par la vendeuse de lourds et encombrants rouleaux de tissus. Ou encore ce chef invitant une débitrice* à s’asseoir et s’assurant aussitôt que le patron a bien remarqué qu’elle n’avait rien d’autre à faire que de se reposer !

Ces personnages du quotidien tellement commodes qu’on ne les considère pas mieux que des meubles ont inspiré des écrivains, des journalistes. ont été publiés, entre autres :

« Physiologie des demoiselles de magasin » écrite par un journaliste anonyme en 1842 et  illustrée par de grands noms tels Gavarni, Daumier, Traviès et Monnier,

« Les demoiselles de magasin » publié par Paul de Koch en 1863,

« Commis et demoiselles de magasin » par mademoiselle X en 1868,

« La demoiselle de magasin » pièce de théâtre de Frantz Fonson et Fernand Wicheler, jouée la première fois en octobre 1913. Louis Delallier

 

Louis Delallier

 

* La débitrice est une des employées de magasin au plus bas de l’échelle. La vendeuse lui remet ses fiches de vente au fur et à mesure, à charge pour elle alors d’accompagner les clients à la caisse et d’annoncer au caissier les achats effectués.

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A
Bien bel article qui démontre la misère de la condition féminine à une époque pas si lointaine que cela. Les choses ont évolué depuis mais ne nous leurrons pas , tout n'est pas parfait à l'image de ces hôtesses de longues heures debout , en escarpins , obligées de sourire dans les grands salons ( automobiles par exemple ).<br /> Alexandre
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L
Et choisies pour leur esthétique ! <br /> Merci.