La terrible nouvelle s’est répandue dans le département comme une traînée de poudre : deux des trois trains du pèlerinage bourbonnais à Lourdes se sont percutés. Les très nombreux morts et blessés sont tous originaires de l’Allier. La confusion et la tristesse sont grandes en ce 1er août 1922. En attendant la confirmation des identités, on se transmet des rumeurs qui ne font qu’alarmer encore plus les proches des passagers.
Le lundi 31 juillet, les trois trains spéciaux affrétés par le diocèse de Moulins partent pour Lourdes. Le premier conduit ses pèlerins jusqu’à destination sans incident. Mais le train venant de Moulins et celui venant de Montluçon entrent en collision, de bonne heure le 1er août, sur la ligne à voie unique entre Agen et Tarbes passant par Auch. Ces trains très chargés n’auraient pas dû circuler sur une ligne mal équipée et mal entretenue. L’usage voulait qu’ils empruntent la ligne principale par Toulouse. Il en est allé autrement, car la Compagnie du Midi souhaitait soulager cette ligne très sollicitée en cette période de l’année. Seul un chef mécanicien habitué de cet itinéraire est adjoint aux conducteurs bordelais nouveaux venus à cet endroit.
Au départ d’Agen, la locomotive tirant le train de tête pose un problème réduisant ainsi son avance de sécurité de trente minutes sur le deuxième train. A Mirande, on doit effectuer une réparation succincte sur un injecteur, ce qui réduit la production de vapeur et la force de traction. Une fois Mirande dépassée, la voie suit les fortes déclivités du terrain auxquelles s’ajoute la surcharge d’environ 50 tonnes du treizième wagon adjoint pour transporter davantage de fidèles. Après Laas, une montée cause un premier arrêt pour faire remonter la pression.
Il reste encore une difficulté de premier ordre à affronter, celle d’une autre montée d’un peu moins de cinq km avec une pente pouvant atteindre 26%0 du côté du village de Laguian-Mazous (Gers). C’en est trop pour le matériel affaibli et patinant sur des rails glissants à cause de la brume. Le convoi ne peut plus avancer. L’alerte est donnée au train de Montluçon qui se rapproche dangereusement. Les hommes d’équipe du train de Moulins tentent de redémarrer en mettant du gravier sous les roues et gagnent quelques mètres bien insuffisants pour finir de gravir la côte.
Les circonstances du drame sont alors presque toutes réunies. Il s’y ajoute l’impossibilité des freins à retenir la masse inerte qui commence à redescendre en direction du train de Montluçon dont le conducteur, bien que roulant lentement et avec grande prudence, ne peut que constater l’inéluctable collision. Il freine de toute urgence. Mais il est trop tard. Les trois derniers wagons en bois du train de Moulins reçoivent l’essentiel du choc en s’écrasant à 35 km/h contre l’acier de la locomotive. Il est 4h 50.
Six-cents pèlerins occupent le premier train. Seuls ceux des deux dernières voitures (de 2e et 3e classes), réveillés en plein sommeil, payent le prix fort hormis quelques-uns dont Monseigneur Penon, évêque de Moulins, qui s’en sortent avec de légères blessures. L’obscurité et le brouillard compliquent le travail des infirmières et infirmiers (accompagnant des pèlerins malades) qui donnent les premiers soins aux blessés, certains très grièvement, en attendant le premier train de secours qui n’arrive qu’à 10 heures, la ligne télégraphique n’ayant rouvert qu’à 6h 30.
Le bilan s’établit à 33 morts et 32 blessés dont beaucoup ayant des liens de parenté. Le samedi 5 août, Les cercueils sont acheminés par train spécial à la gare de Moulins où ils sont installés en plein air sur un catafalque. Une foule d’environ 2 000 personnes s’est massée dans la cour. Entre 15h 30 et 16 h30, se déroule une cérémonie d’hommage aux victimes en présence des autorités civiles et religieuses. Les obsèques auront lieu les jours suivants dans les communes respectives.
La stupeur et le chagrin n’empêchent pas de se poser la question des responsabilités. Une enquête officielle est confiée à Monsieur Maison, directeur du contrôle du ministère des Travaux Publics qui, très rapidement, exonère la Compagnie du Midi de toute responsabilité. Les seuls responsables sont les cheminots qui n’ont pas pris les bonnes décisions alors qu’ils avaient du matériel en bon état de marche… Plus tard, Pierre Semard, secrétaire de la fédération des cheminots, produit des conclusions techniquement solides et bien différentes dans le journal l’Humanité. Il dénonce l’entente entre le gouvernement et les compagnies de chemin de fer.
Le 1er juin 1923, le tribunal correctionnel de Mirande relaxe les deux cadres de la Compagnie du Midi responsables de la gestion du trafic et condamne le mécanicien-chef et le mécanicien à trois et un mois de prison avec sursis pour homicide involontaire. Il fallait bien trouver des coupables.
Un an après le drame, deux stèles commémoratives de granit en forme de croix sont dressées, l’une à l’endroit de la catastrophe, l’autre à Lourdes dans l’enceinte des sanctuaires.
Quelques jours après le drame, une malheureuse coïncidence dans la programmation de l’American cinéma des samedi 12, dimanche 13, lundi 14 et mardi 15 août à Moulins semble n’avoir dérangé personne :
Le célèbre Max Linder dans Sept ans de malheur, comédie en cinq parties
Albertini (Bras d’Acier) dans Un drame en wagon-lits
Louis Delallier
Liste des victimes, impossible à établir avec une fiabilité totale (trop d’imprécisions et de contradictions dans les comptes rendus journalistiques)
- Mademoiselle Marguerite Cochard, Moulins
- Mme Marguerite Barbarin, Cusset
- Mademoiselle Marie Ruet-Lamotte (Mariol)
- M. Gabriel Dessert (Andelaroche), ancien maire (quatre enfants blessés)
- Mme Aimée Mangin (Franchesse)
- Mme Collas (Châtel-de-Neuvre)
- Sœur Agathe, maison de retraite de la congrégation de Notre-Dame (Moulins)
- Sœur Saint-Martin (Mariol)
- Sœur Philomène (Le Montet), visiteuse des malades de la paroisse
- Abbé J. B. Giraudet, curé de Montaigu-le-Blin
- Abbé Joseph Allier, curé de Saint-Gérand-le-Puy
- Mme Renaud de La Celle (Le Coteau dans la Loire) née à Chassenard
- Son fils Alain
- Mademoiselle Fournier (Saint-Gérand-le-Puy)
- M. Maurice Fournier (Saint-Gérand-le-Puy), frère de la précédente
- Mme Lucie Signoret (Saint-Gérand-le-Puy) décédée à l’hôpital (nièce de l’abbé Giraudet)
- Mme Michelle Étiennette Renée des Champs de Verneix, née Defaye (Dompierre),
- Mme Marie-Thérèse Defaye (Dompierre), mère de madame Renée Defaye
- M. Hubert Beauchamp (Vaumas), petit-fils de Mme Defaye
- Mademoiselle Marie Perdriat (Bourbon-l’Archambault), fille du médecin consultant de Bourbon
- Mme Sevaux, née Grandpré (Chantelle) (veuve du procureur de la république de Moulins)
- Mme Jacquin (Chantelle), dame de compagnie de Mme Sevaux
- Mme Marguerite Bernardet, née Richet (Aubigny)
- Madeleine Charvet (Lenax)
- Mme Varet (Vichy)
- Mlle Solange Patissier (Vichy) (une sœur blessée)
- Mme Branchet (Vichy)
- Mme Desbouis (Vichy), décédée à l’hôpital de Tarbes
- Mademoiselle Odette Desmoulières, (Le Montet), sœur de sœur Agathe
- Mme Marie Brun, caissière à la coopérative La Ruche berrichonne à Bourges, sœur de Solange Lenoir blessée
- Mme Pauline Rigondet (Sanssat)
- Mme Laurier (Moulins), directrice de l’école libre de la rue de Bourgogne
- Mme Jeanne Forgeron (Aubigny)