La presse locale et nationale, dont Le Petit Journal, n’ont pas manqué de rapporter cette histoire exceptionnelle.
Mariée depuis peu à Bagneux (le 15 novembre 1924) avec Jean-Baptiste, sabotier, Céline Bérézine est heureuse à Trévol où son mari et elle se sont établis. Cette ancienne assistée de la Seine était domestique agricole à la ferme Libault dans la commune de Villeneuve-sur-Allier. Les jeunes époux, âgés de 27 ans tous les deux, mènent une vie simple et paisible jusqu’au jour où une Rolls-Royce stoppe devant leur maison.
En descendent un homme et une femme accompagnés d’un interprète qui se charge de faire les présentations. Céline se retrouve ainsi en présence de son père qui a fait fortune aux États-Unis. Ce dernier avance comme preuve une cicatrice que la jeune femme porterait à la jambe gauche. Ce détail étant exact, il peut donner libre cours à la joie de revoir enfin la fille qu’il a eue de sa première femme.
Céline est née en Angleterre quelque temps avant que ses parents ne décident de s’installer en France. Son père est alors un modeste cordonnier et un bon père. Mais la mère de Céline se révèle trop intransigeante et répressive pour son enfant qui finit par être placée à l’Assistance publique à l’âge de 5 ans. Elle est accueillie dans une famille de la Nièvre où elle reste jusqu’à ses 18 ans. En 1916, elle est placée à Villeneuve.
Entre temps ses parents ont divorcé et son père est parti pour Philadelphie où il a ouvert un bar et s’est remarié. Il n’a toutefois jamais cessé de rechercher la trace de sa fille. Trois ans après l’abandon, il se rend à l’Assistance publique à Paris où on lui assure que Céline va bien. Il rentre chez lui et reprend les démarches qui demeurent vaines. Il fait une troisième tentative en 1917, encore sans succès.
Après son mariage, l’administration contacte enfin Céline et lui apprend que son père est à Paris depuis trois mois. On lui propose de correspondre avec lui. C’est ainsi que le rapprochement s’est opéré après renseignements pris qu’il ne s’agissait pas d’une escroquerie.
Les voici donc face à face avec, certes, une importante histoire commune, mais avec des différences de vie abyssales. Le papa est impatient et fier de raconter que, grâce à la fortune accumulée, il possède des hôtels particuliers à Paris, Londres et New-York. Il tient même à prouver son extrême aisance en montrant à sa progéniture un portefeuille gonflé de billets de banque. Il est prêt à procurer une situation enviable au jeune couple à Paris. Mais l’attrait d’une vie facile où l’argent coule à flot ne séduit ni Céline, ni Jean-Baptiste. L’Américain, déçu, regagne la capitale non sans avoir parcouru le village en paradant et en chantonnant pour épater la galerie.
Enfin, après plusieurs essais, il persuade les Trévolois de faire le chemin jusqu’à Paris, le 26 décembre 1924. Là-bas, il met tout en œuvre pour les tenter avec une débauche de luxe propre à son état d’homme nanti. Il est même question de faire expédier le mobilier de Trévol dans un appartement parisien au loyer exorbitant de 5 000 francs.
Mais les Trévolois, dont les habitudes et le train de vie modeste sont bousculés, se disputent tant et si bien qu’ils n’hésitent pas à retourner chez eux pour retrouver leur sérénité mise à mal. De plus, monsieur « père » n’avait pas caché son manque immédiat d’empathie pour son gendre au point de souhaiter que Céline le suive seule aux États-Unis. Cette dernière explique que Jean-Baptiste a été son compagnon d’infortune et qu’elle ne veut pas que la fortune les sépare.
« Mon mari continuera à creuser ses sabots et moi je travaillerai. Je l’ai fait toute ma vie. Je peux encore le faire. »
Et du travail, elle en aura car au moins 6 enfants verront le jour.
Louis Delallier