Les membres du conseil de fabrique qui administre la cathédrale de Moulins se réunissent en janvier 1899 à l’évêché. L’ordre du jour concerne les nouvelles cloches de la cathédrale. Leur futur fondeur, monsieur Bollée d’Orléans, est convié. Des questions techniques occupent les discussions. De l’avis de Georges Darcy, architecte officiel du diocèse de Moulins, la mise en place des nouvelles cloches ne nécessitera pas un agrandissement des ouvertures des tours de la cathédrale. Seul le passage du bourdon s’exécutera après une découpe dans la base de la tour nord.
Les cinq cloches sont fabriquées dans le meilleur alliage (78% de cuivre et 22% d’étain). Le bourdon sortira des moules le jeudi 2 mars et les 4 autres le jeudi 13 avril suivant. Transportées par train depuis Orléans, elles prennent le chemin du parvis de la cathédrale le mercredi 10 mai au matin.
Toute la journée, les curieux viennent admirer et commenter le travail des Bollée, fondeurs de père en fils depuis 1715. Le soir, les nouvelles venues sont placées à l’abri dans la cathédrale en attente de leur bénédiction le dimanche 14 mai et de leur installation dans les clochers prévue deux semaines plus tard : au nord (à gauche) le bourdon et au sud (à droite). La descente de l’unique cloche datant de 1802, dite « la Napoléon » se fera en même temps grâce à l’échafaudage monté par l’entreprise Chomont, cloche qui sera accueillie à la chapelle d’Avermes.
Le dimanche 14 mai, des files d’attentes se forment à toutes les portes de l’édifice. La police municipale a été requise pour faire face à tout désordre. Un rappel express sur le caractère religieux de la cérémonie est clairement répété. Aucune place n’est réservée, hormis les deux premières travées de la grand-nef pour les parrains et marraines et quelques membres de leurs familles et aux abonnés dont les noms sont inscrits sur les chaises.
A 15h, les fidèles et autres badauds attirés par le côté spectaculaire de cette quintuple bénédiction, ou chassés de la rue par la pluie, assistent à l’arrivée de Monseigneur Dubourg et de sa suite. Les cloches sont alignées dans le chœur tendu de pourpre et d’or par la maison Cochard, fleuri et verdi par les soins des établissements Treyve. Le bourdon est tout enguirlandé tandis que ses compagnes portent du satin blanc, mauve, rose relevé de moire et de dentelles très élaborées. Leurs auteurs, père et fils, sont bien entendu dans l’assemblée.
Monseigneur Dubourg cite un passage du Cantique des Cantiques en guise d’entrée en matière : « …Sonet vox tua in auribus meis… vox enim tua dulcis… » (Que votre voix retentisse à mon oreille, car cette voix est pleine de douceur) qu’il développe par la suite. Tout se déroule comme pour un baptême humain ou presque. L’extérieur et l’intérieur des cloches dont les ornements ont été ôtés sont lavés par l’évêque avec un linge imbibé d’eau bénite. Il trace une première croix, puis sept et encore quatre sur chacune. L’encens les entoure progressivement. La célébration sera considérée comme trop longue à cause de la psalmodie des vêpres et trop bruyante à cause d’une assistance hétéroclite pas assez recueillie.
Qui dit baptême dit dragées. C’est l’occasion pour la foule de se servir dans les corbeilles à grand renfort de casquette pour faire le plein de sucreries… quelques coups de poing volent… on décide d’arrêter la distribution qui reprend aux portes lorsque les gourmands impatients sortent. Auparavant, une quête a été organisée pour couvrir les frais de la bénédiction.
Les parrains et marraines, les membres du Chapitre, du conseil de fabrique, les fondeurs, les curés de la ville, les supérieurs des communautés se retrouvent au calme de l’évêché à 19h 30 pour diner.
Il me reste à présenter ces cinq monuments de bronze gravés d’inscriptions rappelant leurs noms, parrains, marraines, l’identité de membres du clergé local et ornés des sept croix d’onction, de représentations de la Vierge Marie, du Christ, d’armoiries dont celles de Léon XIII, etc.
Le plus imposant se nomme Magdeleine-Chantal. C’est le bourdon (en la) : 1,86 m de diamètre et 4,205 kg. Il a pour marraine Magdeleine-Mélanie Zénaïde de Souchon d’Aubigneu et parrain Julien-Édouard, vicomte de Conny, frère de Monseigneur de Conny, en son vivant doyen du chapitre fondateur de la Maîtrise.
Marie-Cécile-Marguerite est la deuxième cloche (en ré) : 1,371 m de diamètre et 1,612 kg.
Sa marraine est Marguerite des Mercières, épouse de Gaëtan Aladane de Paraize et son parrain Renaud de Fréminville.
Théodore-Marie-Gilberte est la troisième (en mi) : 1,217 m et 1,123 kg. Marraine : madame de Chantemerle, née Meilheurat des Prureaux. Parrain : monseigneur Joseph-Théodore Vichy, protonotaire apostolique, doyen du Chapitre.
Irène-Marie-Léonie est la quatrième (en fa dièse) : 1,083 m et 809 kg. Marraine : mademoiselle Marie de Cissey, fille d’Alfred Vincent de Cissey, colonel. Parrain : Abel Chabot, époux d’Irène Lacour.
Jeanne-Paule est la cinquième (en la) : 0,90 m et 470 kg. Marraine : mademoiselle Anne-Marie-Antoinette-Paule Bayon. Parrain : monseigneur Jean-Baptiste Melin, protonotaire apostolique, archiprêtre de la cathédrale.
À 120 ans, nos cinq cloches n’ont rien perdu de leur vigueur et ont sonné en chœur avec toutes les cloches des cathédrales françaises mercredi dernier, 17 avril, à 18h 50, en communion avec Notre-Dame de Paris gravement endommagée lundi par un incendie dont l’alerte a été donnée à 18h 50.
Louis Delallier