L’annonce est imminente et la presse locale se fait l’écho des dispositions à prendre pour que la célébration officielle soit à la hauteur de l’évènement tant espéré : la victoire sur l’Allemagne nazie.
La veille, chaque lecteur apprend comment sera annoncée la fin des hostilités. Les sirènes municipales seront actionnées pendant plusieurs minutes et les cloches des trois églises moulinoises sonneront à toute volée.
Il est précisé que les membres exécutants de la Lyre et de la fanfare d’Yzeure, les tambours et les clairons devront se rassembler à 8h 30 au passage Moret si l’annonce a lieu entre 21 h et 8 heures du matin et au plus tard une heure après l’annonce si elle a lieu entre 8 heures et 21 heures.
Le recteur d’académie a décidé la vacation de tous les établissements scolaires le grand jour : pas de rentrée, si c’est avant la classe du matin ou arrêt immédiat des cours si c’est pendant la classe. Les enfants seront en récréation en attendant leur sortie normale. Il n’y aura pas d’école toute la journée ou l’après-midi et le lendemain matin.
Un petit café de la place des Garceaux a déjà célébré la prise de Berlin, définitive le 2 mai, en servant à ses clients un verre de blanc bien tassé puisé dans un seau.
Les Teintureries réunies (20, rue Delorme, 6 rue Girodeau et rue Régemortes) offrent un nettoyage complet (avec l’aide financière de leur clientèle) à tous les prisonniers rapatriés et déportés politiques de Moulins et d’Yzeure libérés depuis mars sur présentation d’une pièce en attestant.
Grâce à la générosité des spectateurs, le reliquat du gala de danse du théâtre municipal donné par Mlle Parouty et ses élèves, est réparti entre le comité d’Entraide aux militaires blessés de Moulins-Yzeure et le COSOR (comité des œuvres sociales de la résistance pour les internés politiques rapatriés).
Ces beaux gestes comme on les nomme alors sont quotidiens.
Le jour J de bonne heure, la ville, parée de drapeaux tricolores, d’oriflammes diverses, de guirlandes, est envahie par une population exultant après tant d’années de peur, de privations, de drames, de morts.
A 15 heures, pour la cérémonie publique, elle est encore plus nombreuse. Des haut-parleurs ont été installés pour permettre une large audition du discours du général de Gaulle officialisant ainsi l’incroyable nouvelle.
Place de l’Hôtel-de-ville, lieu du pouvoir municipal retrouvé, la Lyre moulinoise et la fanfare d’Yzeure, toujours fidèles, se lancent dans les hymnes nationaux alliés et des marches militaires. Henri Gromolard, maire de Moulins, prononce une allocution depuis le balcon de la mairie. Y sont inclus les vers de Théodore de Banville tirés des Idylles prussiennes (1871), rappel d’une autre guerre contre le peuple allemand :
La République est jeune et fière
Et ne punit que les barreaux.
Elle marche dans la lumière
La République est un héros.
Le conseil municipal au grand complet, les autorités civiles et militaires se déplacent jusqu’au jardin de la gare au monument aux morts de 14-18 où il reste, justement, la place pour graver deux autres dates terribles : 1939-1945. Les fanfares précèdent la délégation des blessés en traitement à l’hôpital avec leurs infirmières qui défile sous les applaudissements qui se transforment en une véritable ovation. Elles sont suivies d’une section de la garnison militaire, le préfet, Robert Fleury, son secrétaire général, monsieur Dobinet, les associations d’anciens combattants et de victimes de guerre et leurs porte-drapeaux et des personnalités de tous ordres. Après le dépôt des gerbes, le recueillement est de mise car le bilan humain, encore bien sous-estimé, est terrible.
Puis, la foule immense prend le chemin de la place d’Allier où l’attend d’autres discours et surtout un grand bal populaire à 21h 30. Les bâtiments publics restent illuminés. Monsieur Blanchet, restaurateur sur la place, distribuent aux passants un « canon » de rouge. Monsieur Perrin, négociant en vin, place Régemortes, offre une dégustation à tous ceux qui souhaitent marquer le coup. Il a placé un tronc en évidence pour participation aux œuvres de guerre. Il a lui-même versé 7 000 francs au maire de Moulins à partager entre les blessés militaires en traitement à Moulins (3 000 francs), la maison des prisonniers de guerre et déportés politiques (2 000 francs) et pour une ou plusieurs familles éprouvées par la guerre (2 000 francs).
A proximité, dans une ville d’Yzeure aux habitations tricolores, la ferveur est la même. Dès le premier coup de sirène, les cloches retentissent, et ce durant trois heures. À l’école, les cantines servent un goûter de choix aux élèves.
La fanfare joue les hymnes nationaux des vainqueurs à partir de 19 heures au kiosque à musique de la place Jules-Ferry autour duquel les danseurs vont s’en donner à cœur joie jusque tard dans la nuit et même pour certains jusqu’au petit matin à la salle Chandioux.
La place et les monuments sont brillamment éclairés grâce au professionnalisme de messieurs Alasseur, Jallet et autres électriciens qui ont travaillé bénévolement à la réussite de cette soirée de liesse.
C’est le lendemain à 14 h 30 que les officiels prennent le relais, avec le préfet, son secrétaire général, le maire Claude Dussour, déporté politique de retour du camp de concentration de Buchenwald, très affaibli mais debout, messieurs Lionnet, président des A.C.M. (Anciens combattants mobilisés), Perret, délégué du Mouvement des prisonniers et Déportés politiques, et monsieur Loizeau, premier adjoint au maire, notamment.
Un cortège, mené par monsieur Cartoux, président du comité des fêtes, se dirige vers le cimetière pour une minute de silence au pied du monument aux morts. On y dépose les traditionnelles gerbes tout comme sur les tombes des F.F.I et de Jean Bergeron et Roger Vebret, les deux jeunes beaux-frères résistants, exécutés ensemble par les Allemands, le 5 septembre 1944, sur la route de Montbeugny.
Le retour se fait en musique jusqu’à la grande salle de la mairie formidablement décorée grâce à l’obligeance des Coopérateurs bourbonnais. Un vin d’honneur est servi aux participants.
La fanfare, toujours à l’œuvre, gagne le square Claude-Bernard pour égayer les Bataillots le temps d’un concert. Un bal, organisé en plein air, au 2 impasse Berlioz, par des habitants du quartier est animé par l’orchestre dirigé par madame Régnier. Une quête réunit 730 francs réservés aux blessés de guerre.
L’émotion et le soulagement ont été ainsi partagés dans de nombreuses autres communes bourbonnaises avec une allégresse égale. L’après-guerre et son lot de complications prévisibles sera pour plus tard.
Louis Delallier