Philippe Papougnot est « courrier des postes ». Ce samedi 14 janvier 1888, sa journée de travail commence comme toutes les autres après l’arrivée de l’express de 3h 51. Six sacs scellés, qui viennent de transiter par le bureau auxiliaire du service des dépêches, lui sont remis par le facteur-chef de la gare. Papougnot les enferme dans son fourgon ouvrant par l’arrière. Après avoir repoussé les portes, il actionne le système de verrouillage depuis son siège de conducteur et s’engage sans tarder sur l’avenue nationale (actuelles avenues Général Leclerc et Théodore-de-Banville) vers le bureau de la poste, place de la bibliothèque (place Marx-Dormoy). Il a environ 1 km à parcourir. Il est 4h 35.
Il poursuit avec célérité sa route par les cours, le haut de la rue d’Allier et la rue Denain. Mais à l’arrivée, tous les sacs ont disparu. Branle-bas-de-combat immédiat. M. Forastié, receveur principal, et des employés prennent à pied le chemin inverse dans l’espoir de trouver quelque chose.
Pendant ce temps, des militaires du 7e chasseurs qui ont un train à prendre longent l’avenue nationale. Devant la sellerie Berger et Barillot, ils découvrent une serrure, puis des sacs béants, des journaux et papiers divers à même le sol. Même spectacle près de l’imprimerie Crépin-Leblond et du café Villars à proximité de la gare.
Il est 4h 43 quand la nouvelle de la trouvaille des soldats parvient au facteur-chef de la gare. Comme à la poste, l’agitation s’empare du personnel. On s’élance vers l’avenue, lanternes à la main. Les gendarmes alertés commencent pas se rendre dans plusieurs directions à la recherche de renseignements. En ouvrant son magasin, M. Colas, épicier boulevard de Courtais, trouve le sixième sac dont le contenu est tout autant éparpillé.
L’enquête permet de constater que Philippe Papougnot remise son véhicule dans le hangar de la propriété Bidet, rue de Refembre, près du bureau d’octroi. On y accède par une porte cochère, bien souvent pas fermée à clef, ou par la pépinière Perrin non clôturée donnant sur l’avenue Meunier. Il apparaît clairement que les malfaiteurs ont repéré les habitudes et les lieux pour préparer au mieux le fourgon la nuit précédente. Ils ont dû dévisser la serrure et la tringle intérieures, ce que Papougnot n’a pas remarqué lorsqu’il a chargé les sacs et repoussé les portes, pas plus que lorsqu’il croyait verrouiller le tout depuis son siège. Il ne restait plus aux malfaiteurs qu’à suivre la voiture et se servir.
Le 15 du mois est un jour d’échéance et par conséquent synonyme d’envois volumineux et pécuniairement intéressants. On estime à 3 000 francs la somme pouvant être recouvrée par les voleurs. Les 15 000 francs envoyés de la recette des finances de Montluçon à la trésorerie de Moulins et les 6 000 francs venant de Gannat sont heureusement découverts devant la sellerie. Le procureur de la République et le commissaire de police Jacquemot examinent la voiture avant de faire procéder à une perquisition chez Papougnot, place de la Liberté. Les soupçons de complicité à son endroit ne tiennent pas longtemps car ses états de service plaident en sa faveur : plus de 15 ans de probité, de rigueur malgré un emploi difficile ayant une amplitude horaire de 3h 51 à 23 heures.
Cela n’empêche pas l’administration des postes de mettre fin à ses fonctions. Les démarches entreprises pour la faire fléchir sont sans résultat. L'employé victime ne touchera pas son salaire et sa caution ne sera pas restituée. Cette décision le place dans une situation terriblement précaire. En effet, il est veuf depuis mars 1883 et élève seul ses six enfants : François 16 ans, Pierre 13 ans, Eulalie 12 ans, Antoinette 11 ans, Jeanne 7 ans et Marie 5 ans.
Le Courrier de l’Allier s’en émeut et lance une souscription qui récolte 279 francs. Cet élan de générosité est malheureusement insuffisant, ce que montrent les quelques éléments trouvés à son sujet : le recensement de 1891 le signale à la même adresse place de la Liberté comme charron. L’une de ses filles, Antoinette, meurt à l’orphelinat de la rue de Villars en 1893. L’année suivante, c’est Jeanne-Marie qui décède, au domicile familial. Il est alors journalier, donc sans employeur fixe.
L’enquête, quant à elle, s’est poursuivie. Des traces de godillots ferrés relevées du côté de la pépinière et l’impassibilité des chiens y vivant n’apportent aucun début de piste. Deux individus ont été vus sortant de Moulins à 5h 30 après avoir été remarqués à plusieurs endroits de la ville, mais sans plus. D’autres ont été pourchassés jusqu’à Neuilly-le-Réal. Mais il s’agissait d’ouvriers qui allaient abattre des églantiers.
Des vols accomplis avec la même organisation et la même réussite ont été déclarés dans l’Indre la nuit du 6 au 7 janvier, à Vierzon, à Pierre et à Louhans (Saône-et-Loire) dans la nuit du 13 au 14. Mais aucun indice ne permet de les relier avec l’affaire de Moulins. Un lecteur du Courrier avance une hypothèse farfelue sur le délabrement de la voiture dont les vis se seraient désagrégées d’elles-mêmes et sur la trépidation qui aurait fait tomber les sacs dispersés ensuite par des passants… Les avis « autorisés » ne manquaient déjà pas même si leur diffusion n’avait pas l’instantanéité des réseaux sociaux. On préconise ainsi une fermeture placée derrière le conducteur, identique à celle des fourgons de l’administration, d’attendre l’omnibus qui suivrait jusqu’à la place aux Cuirs, ou encore d’éclairer l’avenue nationale toute la nuit après entente avec la Compagnie du gaz.
A la mi-mai, le dossier est refermé. Une voiture de maître fermée, conduite par un cocher d’hôtel, sous la surveillance d’un agent des postes, fait les allers-retours de la gare au bureau central plusieurs fois par jour. Puis le service est concédé à monsieur Bravard de Nevers qui utilise un fourgon neuf selon le modèle établi par l’administration des postes. Philippe Papougnot demeure celui qui a failli.
Louis Delallier