Le billard est un jeu populaire dont le nom est attesté en français depuis le XIVe siècle. Il se pratiquait directement sur le sol comme le croquet. Les premières tables auraient pour origine le mauvais temps qui ne permettait pas aux aristocrates de jouer quand ils le voulaient. Une variante se développe alors sur table avec l’utilisation de l’extrémité supérieure des cannes de croquet.
Moulins possédait sa fabrique de billards depuis 1822, la maison Pommier, successeur de monsieur Fournier, au 15 rue de l’Oiseau. En 1900, ce sont deux fabriques qui se partagent la clientèle : Pommier et P. Beaumont (46 rue des Couteliers). Pommier a toujours pignon sur rue à Moulins en 1912. Il existe encore une entreprise dans le secteur en février 1934, installée à Yzeure, 1 boulevard Jean-Jaurès.
Ce jeu fait tellement d’adeptes que les escrocs s’en emparent. À la fin de l’année 1908 par exemple, un individu, renseignements pris, se présente au domicile de parents dont le fils est militaire à Limoges. Il se dit cafetier et propriétaire d’une table de billard dont le tapis a été déchiré par le soldat maladroit. Il précise qu’il se déplace pour traiter à l’amiable ajoutant que des poursuites en justice enverraient inévitablement le jeune coupable devant le conseil de guerre. Ni plus ni moins ! Nombreux parents effrayés s’acquittent sans rechigner de la dette de leur enfant, dette qu'il échelonne de 10 à 25 francs en fonction de l’aisance apparente des familles.
Les tournois feront évidemment partie de la vie des billardistes moulinois.
Le 1er tournoi du quotidien Paris-Centre a lieu du 27 au 31 octobre 1924 au café de France tenu par monsieur Arnoux, place d’Allier. Les engagements coûtent 3 francs. Un tirage au sort détermine les adversaires de chaque match. Les parties se jouent en 150 points à raison de deux par soirée. Les dix engagés se partagent les prix comme suit :
1er prix : Damont deux bouteilles de champagne offertes par le café de France
2e prix : Billard un coffret de parfumerie
3e prix : Parnière un coffret de parfumerie
4e prix : Rondin une bouteille de champagne
5e prix : Besson un rasoir mécanique
6e prix : Jardillier une casquette (maison Potier rue d’Allier)
7e prix : Simon une bouteille de Bourgogne vieux (hôtel du Dauphin place d’Allier)
8e prix : Arnoux une bouteille de vin vieux (M. Raymond, cafetier place d’Allier)
9e prix : Grandmougin un cadre-souvenir (librairie Devaux place d’Allier)
10e prix : Dubreuil un livre (librairie Boutray rue d’Allier).
Le 2e tournoi se déroule à partir du lundi 23 février 1925, au même endroit avec à la clef 25 bouteilles de champagne (café de France) pour le vainqueur, des coffrets de parfumerie (Paris-Centre du 2e au 6e prix) et des rasoirs (Paris-Centre du 7e au 10e prix).
Il faut attendre le début de l’année 1929 pour que ces Moulinois passionnés fondent l’académie de billard. La salle située au café américain sur les cours est inaugurée le vendredi 8 février 1929. Elle est mise à la disposition des membres par son propriétaire, président et entraîneur de l’académie, Humbert Robiolio. Des parties sont disputées par des invités de qualité. Pons, champion du Lyonnais (1ère catégorie) bat Imbert de Vichy (3e catégorie), champion du Centre. L’académie connaît un bel essor et atteint 100 membres très rapidement. Affiliée au groupement des sociétés de billard du Lyonnais, elle y remporte en peu de temps tous les plus beaux trophées : Challenge Robin, challenge des trois bandes, coupe des Alpes, challenge Premier.
De grands champions français comme Grange, Roudil et bien d’autres font le déplacement à Moulins.
En février 1934, le banquet annuel de l’académie regroupe presque 60 de ses 150 membres
dont le président J. Burtin des Roziers, le vice-président Marius Loizel, le secrétaire Jean Marraine, le trésorier Deviller, messieurs Piquet, président du tribunal de commerce, Concasty, président de l’association commerciale et industrielle, membre de la chambre de commerce, Roye, chef de cabinet du préfet, Maître H. Blanc, Humbert Robiolio, etc. Monsieur Burtin des Roziers, fraîchement décoré de la Légion d’honneur, est félicité avant le spectacle composé de chants et de monologues.
Le 22 juin, 40 personnes se retrouvent pour un déjeuner gastronomique à Saint-Pierre-le-Moûtier après distribution des prix du championnat 1934 au café américain :
1ère série cadre : Jardillier, Berthon, Louis Burin des Roziers
2e série cadre : Prat, Berger, Butin,
1ère série libre : Gerbereux, Mazoyer, Palisson, Hivet, Bernadat, R. Michaud
2e série libre : Jacquet, Cherrier, C. Nicolas, Gold, Biasi, Jacob
4e série libre : Rocher, Peter, Chartier, Bellat.
On annonce avec fierté qu’Édouard Roudil, ex-champion du monde, et président d’honneur de l’académie moulinoise, se déplacera à Moulins le samedi 30 juin pour se mesurer à Humbert Robiolio dans un match à 300 points.
En novembre de l’année suivante, Humbert Robiolio lance la rénovation de ses trois tables de billard et ouvre une troisième salle avec un billard neuf, un tel équipement étant rare en province dit-on. Tout sera terminé pour le tournoi qui débute le 23.
Le dimanche 24 mai 1936, l’académie toujours présidée par J. Burin des Roziers reçoit 11 joueurs des billards-clubs de Roanne (présidé par monsieur Sautel) et de Thizy (présidé par monsieur Estra avec pour secrétaire monsieur Bienvenu). On compte parmi les participants monsieur Bachelier, secrétaire général et animateur du groupement des sociétés de billards de Lyon. Les matchs se jouent à partir de 11 heures avec une interruption pour le déjeuner pris à l’hôtel du Dauphin par 30 convives dont les épouses des joueurs. Ces dames qui n’ont qu’un rôle d’accompagnatrice et de soutien font du tourisme l’après-midi.
Le 11 novembre à Roanne, Moulins (équipe composée de messieurs Robiolio, Jardillier, Dubuisson et Maraine) se qualifie brillamment pour le challenge Robin. Humbert Robiolio, classé en 2e catégorie, est remarqué pour sa très belle performance dans un match à 7,35 de moyenne comprenant une superbe série de 69 points. Trois jours après, messieurs Robiolio et Burin des Roziers montrent tout leur talent à l’occasion de l’inauguration de la salle de billard de Roanne au nouveau café du Bosquet.
Le 29 novembre, les Moulinois, accompagnés de leur vice-président, Marius Loizel, remportent la demi-finale du challenge Robin face à l’équipe de Grenoble, puis la finale contre Vienne. Le trophée, jusque-là détenu par Lyon-Guillotière, rapporté à Moulins est exposé en bonne place dans la vitrine du magasin Mazoyer rue d’Allier.
En 1938, après une belle participation à la coupe des Alpes et en attendant d’autres challenges, l’académie moulinoise organise son championnat annuel dès le mois de janvier. S’y affrontent amicalement les Burin des Roziers, Loizel, Vallet, Bélot, Boulot, Ramond, Meunier, Lafait, Maraine, Secrétain, Mazoyer, Soalhat, Gannat, Nicolas, Pelletier, Desbois Lescure, Ribier, Chavenon, Achille, Michaud, Mus, Lacour et Petit. Un banquet réunit la fine fleur du club moulinois le soir du samedi 14 mai à l’hôtel du Dauphin. Le lendemain, les joueurs de Moulins représentés par MM Robiolio, J. Burin des Roziers, Loizel et Vallet dominent Grenoble en demi-finale du challenge Premier par 3 victoires à 1 et remportent la finale qui l’oppose contre Lyon-Gambetta par 3 victoires à 1. Les trophées sont offerts par MM Sabatier, Robiolio et Ranglaret.
Encore des Moulinois à l’honneur en 1939 tel Jean Dubuisson qui devient champion du Lyonnais en catégorie 2e B à Lyon le dimanche 26 mars pour la deuxième année consécutive. Les demi-finales et finales de ce championnat du groupement du Lyonnais réunissaient plus de 200 joueurs. Le 30 avril, le groupement des sociétés de billard de Lyon mettent en jeu le nouveau challenge Cordier. Les compères Robiolio, des Roziers, Langagne et Maraine se retrouvent en finale face à Lyon-Guillotière et Voiron. Moulin obtient 6 victoires sur 8 matches. Le trophée est considéré comme le plus beau. Il sera exposé dans la vitrine de Monsieur Mazoyer, marchand de cristaux, porcelaines et faïences rue d’Allier.
Cette belle activité développée depuis une quinzaine d’années est brusquement interrompue par le déclenchement de la Seconde guerre. Pillée par les Allemands, l’académie n’a pas d’autre choix que de se mettre en sommeil.
En octobre 1946, le cauchemar est bel et bien terminé. L’ancien comité relance la machine et décide de laisser de la place aux jeunes.
La pratique du billard à Moulins n’a pas disparu. L’académie se nomme plus sobrement billard-club et accueille les pratiquants au palais des sports, rue Félix-Mathé.
Louis Delallier