Acceptez ce charmant fétiche
Il est le seul assurément
Avec lequel l’on peut se fiche
Des bombes et du bombardement.
Nénette et Rintintin, arrivés de Paris, inondent la province et se vendent comme des petits pains. Moulins n’échappe pas à la règle autant par effet de mode que par superstition.
Certains les disent laids à cause de leurs doigts effilochés comme des pattes de grenouille, de leurs yeux comme ceux d’un escargot, de leurs pieds informes et de leur corps rond comme une courge.
Fabriquées en laine et indissociablement reliées par un cordon, portées autour du cou, à la boutonnière, accrochées aux berceaux, ces petits personnages sont supposés protéger contre les Gothas, des biplans bimoteurs allemands qui crachent des obus et ravagent tout sur leur passage. A Paris, un jeune couple n’a-t-il pas échappé grâce à elles à un bombardement par ces avions accompagné de tirs de la grosse Bertha ?
Personne ne sait comment s’est produite la transition entre des poupées classiques et ces étonnantes figurines laineuses. A l’origine, on trouve Francisque Poulbot, qui, pour concurrencer les poupées allemandes très prisées, crée des poupées à tête en porcelaine qu’il appelle Nénette et Rintintin, surnoms que sa femme et lui se donnent (Francisque étant Nénette et Leona, Rintintin). La Samaritaine les propose dans son catalogue de Noël 1913.
Leur succès tient beaucoup au lien qu’elles matérialisent entre les poilus et ceux de l’arrière. Mais elles deviennent surtout un objet de superstition, une manière de conjurer le sort dans le contexte du moment. La guerre fait peur, les drames sont quotidiens. On se raccroche à ce qu’on peut au grand dam de l’Eglise qui ne voit là qu’un pouvoir illusoire, un fétichisme irrationnel.
Et les Français ne sont pas les seuls touchés par cette vague de croyance dans des bouts de laine. Des Écossais les arborent sur leur kilt. L’armée américaine les connaît bien également. C’est ainsi que le 15 septembre 1918, quelque part en Meurthe-et-Moselle, le caporal américain Lee Duncan, qui a sauvé cinq chiots bergers allemands et leur mère d’un chenil bombardé, en nomme deux Nénette et Rintintin sans hésitation. À la fin de la guerre, il les ramène avec lui aux Etats-Unis. Nénette ne verra pas l’Amérique, mais Rintintin, lui, deviendra l’acteur bien connu de westerns et aura son étoile sur Hollywood boulevard.
Louis Delallier