Le dimanche 5 juillet 1893, on inaugure à Moulins l’école de natation au bout du cours de Bercy et à proximité de la rivière. Décime Col, industriel moulinois à la tête d’une scierie mécanique pour les bois de construction et de chauffage installée avenue Meunier, en est le bâtisseur et le propriétaire.
La piscine de 70 m x 20 est divisée en deux parties presque égales, le petit bain et le grand bain, qui vont de 30 cm à 2 m de profondeur. Des cabines pour les baigneurs, des promenoirs, et des préaux sont à disposition des visiteurs. L’un des deux « baigneurs-professeurs » chargés des cours et de la surveillance de l’école est un ancien alpin sorti second de l’école de Joinville* avec, à son actif, 20 sauvetages. Les apprentis sont entre de bonnes mains.
Une prise d’eau située à 600 mètres en amont au milieu du lit de l’Allier alimente le bassin. Les 2 000 à 2 500 m3 qu’il contient peuvent être renouvelés en une heure grâce à la force du courant.
L’entrée coûte 25 centimes et donne droit à un usage sans limite de temps. Des heures sont réservées aux pensionnats. A ces moments-là, le drapeau qui flotte au-dessus de l’école, est en berne pour indiquer que le public n’y est pas admis. Un regret est à signaler : la municipalité n’a pas jugé nécessaire que tous les élèves fréquentent les lieux pour apprendre la natation et pratiquer un sport sain.
En août 1893, le dimanche 19, les Chevaliers de la Gaule, présidés par monsieur Bonnot, organisent un concours de pêche et une fête nautique en vue de laquelle la piscine a été soigneusement préparée et décorée. Des bancs (à 0,50 franc) et des chaises (à 0,75 franc) sont installés sur les côtés élevés pour recevoir plus de 1 000 spectateurs. Et il y a suffisamment de place tout autour pour 1 500 autres personnes debout. Deux buffets proposent des produits de première qualité à des prix modiques.
La journée commence à 6h 30 pour les pêcheurs, dont une délégation de Nevers, qui se dirigent vers les bords de l’eau en musique pour bien prévenir les poissons avec, en prime, des curieux guère plus discrets. On remarque de nombreux costumes fantaisistes et drôles, objets de l’un des prix. Dès 10 heures, le jury se penche sur les prises pour établir son classement :
1ère catégorie (plus gros poisson)
Brirot père, Moulins (canne à pêche) - Génermont, Moulins (panier à pêche) - Champenoix, président des pêcheurs à la ligne de Nevers (épuisette) - Marinier fils (bouteille de liqueur) - Besson fils (bouteille de liqueur).
2e catégorie (plus haut poids)
Génermont, Moulins (canne à pêche) - Marinier fils (panier à pêche) - Champenoix, président des pêcheurs à la ligne de Nevers (réservoir à amorces) - Besson fils (bouteille de liqueur) - Brière fils (bouteille de liqueur).
3e catégorie (plus grand nombre)
Ex-aequo Génermont, (fusil à grenouilles) et Marinier (gaule en roseau) - Brière fils (gibecière de pêche) - ex-aequo Audibert et Besson fils (bouteille de liqueur).
Costume le plus original
Ch. Papillon (un réveille-matin et un livre) – Gras (bouteille de liqueur et un livre) – Charmeil (bouteille de liqueur).
A midi, le banquet de 120 couverts est servi par Antonin Clavier dans l’école de natation. Il ne faut pas trop traîner à table car la fête de l’eau est prévue pour 14 heures. Le soleil perce enfin les nuages quand les spectateurs prennent place. Les concurrents des épreuves, entrecoupées de morceaux musicaux, appartiennent tous à l’école de natation. Ils portent un costume de bain qu’on a exigé décent. Parmi les lauréats figurent trois membres de la famille Col, bien placés pour se perfectionner dans le domaine aquatique.
Courses de vitesse pour les seniors : Lacarin - Maurice Col - Marsalat
Course de vitesse pour les juniors : Albert Col - Moret - Deselle
Plongeurs : Lacord - Deselle - Marsalat - Maurice Col - Schmidt
Périssoires : Albert Col - Moret
Mât horizontal : Lacord - Schmidt - Félix Deselle - Moret - Maurice Deselle
Course aux canards : Maurice Col - L’Amphibie
Course de résistance : Albert Col - B
Le colporteur de journaux Simonnet, dit Camoinc**, dit l’Amphibie, a été classé hors concours, ce qui ne surprend pas quand on connaît ses exploits.
A 18 h, les Chevaliers de la Gaule défilent dans les rues jusqu’au café de la Perle, accompagnés de membres de la Lyre moulinoise qui ont assuré les parties musicales durant toute la journée.
Un article ironique, tout particulièrement adressé aux Chevaliers de la Gaule, paraît dans le journal La Croix de l’Allier du lendemain. En voici des extraits bien sentis :
« Les avez-vous contemplés du pont de Moulins, ces braves chevaliers calmes et placides… derniers rejetons d’une race qui s’éteint ? »
« Le vrai pêcheur à la ligne est humble d’allure, il craint le bruit, il a horreur de tout tintamarre politique et autre, et pourquoi ne pas le dire en deux mots, il a dû sentir ses cheveux se dresser sur sa tête à la vue des immenses affiches bariolées qui depuis quelques jours couvrent les murs de notre cité.
Songez donc ; Convoquer à la pêche au son du tambour tout un public de profanes qui oncques de leur vie n’ont su distinguer un asticot d’un ver de terre qu’ils foulent aux pied et surtout, messieurs, aller pêcher le goujon au son d’une fanfare assourdissante, de telles idées ne sont-elles pas du fait d’écervelés ? »
Ah, où sont les jours d’antan, alors après avoir assisté aux offices du matin, solitaire ou en famille, on allait tranquillement se promener à Nomazy ou Prends-y-garde lancer sans bruit sa ligne au fil de l’eau. »
Louis Delallier
*Le bataillon de Joinville est unité militaire de l’armée française accueillant des appelés sportifs. Il est dissous en juin 2002 par suite de la fin de la conscription. Il est reconstitué en 2014 avec 88 sportifs de haut niveau sous contrat avec l'armée.
**Voir mon article à son sujet.