Même à la belle saison quand le niveau de l’eau a baissé et que la température rend les bains tentants, l’Allier reste dangereuse avec son sol instable, ses trous dissimulés et son courant imprévisible. Malgré les nombreuses noyades relatées au fil des années dans la presse moulinoise, il se trouve toujours des baigneurs trop sûrs de leurs capacités et sourds aux avertissements. Il en va de même des conducteurs d’attelages qui, l’habitude aidant, ne se méfient plus assez lorsqu’ils conduisent leurs animaux à la baignade. Les rappels sur la meilleure façon de faire ne manquent pourtant pas en cette année où les crues hivernales ont déplacé les bancs de sable et accru les risques.
En seulement un mois et demi du printemps 1888, quatre accidents se produisent. Le samedi 28 avril, vers 14 heures, un conducteur du train des équipages pénètre dans l’eau avec son chariot tiré par deux mulets. Il ne faut pas longtemps avant qu’un tourbillon ne le surprenne et que le courant ne fasse le reste. Constatant que ses efforts pour sauver matériel et animaux sont inutiles, le soldat échappe au drame en s’éloignant à la nage. Il sera le seul à regagner la terre ferme sain et sauf. Les mulets s’échouent peu après en face du cours de Bercy.
Le 29 mai, sur le coup de 18h 30, Auclair, la cinquantaine, employé chez Loustric marchand de vins place Régemortes, fait prendre un bain à deux chevaux appartenant à son patron. L’un est attelé à une charrette à deux roues et l’autre retenu par une corde à l’arrière. La promenade se passe bien jusqu’au milieu de la rivière où, soudainement, le courant couche l’équipage sur le côté. Auclair tombé à l’eau fait tout son possible pour dételer les animaux. Comprenant qu’il ne s’en tirera pas sans aide, il appelle désespérément au secours. Ses cris sont entendus par les Thévenin père et fils, riverains, qui mettent promptement à l’eau leur petite barque. Il leur faut bien une heure pour sortir tout le monde de ce mauvais pas. Auclair n’est pas frais quand il reprend pied tellement il a cru sa dernière heure arrivée. Les Thévenin, eux, qui en sont à leur quatrième sauvetage, gardent la tête froide. On espère que leur bravoure retiendra l’attention des autorités.
Et Thévenin fils remet ça le dimanche 3 juin en début d’après-midi. Il fait partie des piétons qui se jettent à l‘eau pour aller repêcher le domestique de monsieur Meunier, entrepreneur de constructions, emporté avec les trois chevaux qu’il faisait marcher le long de la berge où il y a peu d’eau. Le cheval qu’il montait ayant perdu pied les a tous entraînés vers la catastrophe. Heureusement, l’efficacité des sauveteurs a évité de nouveaux décès.
Le lendemain, entre 19 et 20 heures, Claude Dubresson, boucher, domicilié rue Félix-Mathé, aura moins de chance. Ses cris de détresse parviennent au bateau-lavoir où les lessiveuses sont au travail. Aussitôt, des plongeurs de bonne volonté partent à sa recherche un peu en aval du pont de fer où on l’a vu la dernière fois. Les fouilles durent jusqu’à une heure avancée. On continue au lever du jour avec des barques et l’appui de la police. Ce n’est qu’une semaine plus tard que son cadavre est repéré par son beau-frère, Claude Besson, près de Villeneuve. La rumeur parle d’un pari qui aurait mal tourné, mais la raison penche pour les conséquences d’un passage prolongé dans un cabaret. Ainsi Claude Dubresson aura ajouté bien malgré lui son nom à la triste et longue liste des noyés de l’Allier.
Louis Delallier