Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Le grand-duc Alexis passe 4 minutes à Moulins

Publié le 16 Août 2021 par Louisdelallier

Le grand-duc Alexis passe 4 minutes à Moulins

Depuis deux semaines, la grande nouvelle du passage du grand-duc Alexis Alexandrovitch, frère du tsar Alexandre III, en gare de Moulins a fait le tour de l’agglomération moulinoise. Ce dernier a expressément demandé au ministère des affaires étrangères français, par l’intermédiaire de son aide de camp, qu’aucune manifestation officielle n’ait lieu, exception faite d’une réception en petit comité à Vichy, son lieu de cure thermale. Il n’empêche qu’à Moulins on se prépare fiévreusement à l’accueillir avec tous les honneurs dus à son rang et au nom du rapprochement franco-russe. L’affiche vichyssoise est collée sur les murs de la ville :

Courrier de l'Allier du 11 août 1891

Courrier de l'Allier du 11 août 1891

Le mardi 11 août 1891, en pleine nuit, dès 2h 30, et malgré l’information que son altesse impériale a décalé son voyage, la foule devient de plus en plus dense, dans et aux abords de la gare, pour l’arrivée de l’express Paris-Vichy de 3 h 49. Les gendarmes sont postés pour contenir l’enthousiasme populaire et prévenir tout risque d’attentat.

3h 10, les officiels*, sur leur 31, font le pied de grue sur le quai. Ils auraient dû faire confiance aux dépêches annonçant le changement de date. En effet, le train 603 qui entre en gare ne transporte aucune personnalité, ce que constatent amèrement les curieux montés sur les marchepieds. Après son départ à 3h 52, l’Union chorale et la Lyre moulinoise qui avaient consciencieusement appris et répété l’hymne russe** plient bagages comme tous les spectateurs bien déçus. Ils réclament et obtiennent qu’on leur joue cet air en guise de dédommagement, mais une fois seulement. Les bouquets seront remis au frais.

En marge de la réception ratée, un incident a provoqué l’hilarité des témoins. Une femme, qui tenait coûte que coûte à atteindre le quai, n’a pas hésité à escalader une barrière où ses jupes se sont entortillées en laissant apparaître son postérieur à la vue de tous…

Le jeudi 13, à partir de 1h 45, un détachement du 10e chasseurs et trois brigades de gendarmes prennent possession des lieux pour assurer l’ordre sous le commandement du capitaine Lohner. Certains rejoignent la « petite vitesse », d’autres le pont des Bataillots. Les russophiles et autres amateurs d’évènements extraordinaires reviennent en grand nombre. A 2 heures, les billets pour entrer dans la gare ne sont plus en vente. Bientôt, une rumeur se répand : La Lyre ne viendrait pas une deuxième fois ! Mais le grand-duc, lui, est bien dans le train. On espère qu’il ne lui arrivera rien en chemin. Vers 3 heures, les quais se remplissent de gens qui ont trouvé le moyen d’entrer quand même. On ne peut plus y circuler.

Les voyageurs du train 700 de 3h 40 se sont massés aux portières pour mieux profiter du spectacle de la foule dans l’attente. Ils ont tout le loisir d’observer La Lyre, qui n’a pas fait faux bond, la Bourbonnaise, représentée par son directeur Guillaume Barbe et son grand drapeau aux couleurs russes, la Philarmonique et son directeur M. Bourgougnon, l’Union chorale, et les autorités locales.

A 3h 50 une nouvelle rumeur fait son chemin : le retard DU train risque d’être considérable tant les marques de bienvenue reçues à Nevers retardent son départ. A 3h 52, la rumeur se dégonfle avec l’arrêt en gare du Paris-Vichy et la sortie d’Alexis Alexandrovitch sous les acclamations. « Vive le Czar ! », « Vive la Russie ! ». L’hymne russe retentit. Un des membres de la Philarmonique tient un bouquet tricolore avec un crêpe où est écrit « Alsace-Lorraine ! Vive la Russie ! Vive la France ! ».

Guillaume Barde va s’adresser directement au grand-duc :

« Altesse, la société de gymnastique La Bourbonnaise dont j’ai l’honneur d’être le directeur, m’a chargé d’être auprès de vous le respectueux interprète des vœux qu’elle forme avec tous les patriotes pour l’union de la France et de la Russie et pour sa majesté le Tsar. »

On dit le grand-duc très ému : « Monsieur, je suis très touché de votre délicate attention. Je m’en souviendrai. » Il serre la main de Guillaume Barbe et celle du colonel du 10e chasseurs.

Quatre minutes de ferveur plus tard, le train s’ébranle.

 

Lors de la venue à Moulins du président de la république française, Félix Faure, le 31 mai 1895, la Lyre moulinoise jouera l’hymne russe en lieu et place de la Marseillaise. Une étourderie probablement.

 

Louis Delallier

 

*MM. Lenclos, conseiller municipal, remplaçant M. Ville en villégiature aux Eaux-Bonnes, Clausse, conseiller municipal, Chevrier, suppléant de Joseph Sorrel parti à Cauterets, le sénateur Eugène Bruel, le secrétaire général Ottenheimer, les officiers de gendarmerie, la plupart des chefs de bureaux de la préfecture.

 

**Hymne composé par le général Alexis Lwoff sur ordre de Nicolas 1er après une tournée en Prusse et en Autriche au cours de laquelle sont exécutés les airs nationaux sauf celui de Russie qui n’en a pas. Le général s’inspire des hymnes français, anglais, autrichien et tend vers une composition vigoureuse, noble, émouvante, empreinte de caractère national et jouable aussi bien dans une cérémonie que dans une fête militaire. Le 23 novembre 1883, Nicolas 1er découvre l’œuvre dans la chapelle impériale. Il la fait répéter plusieurs fois, chanter sans accompagnement, puis avec l’orchestre au grand complet. Enfin, il donne son verdict, en français, à l’auteur : « c’est superbe ! ». L’hymne russe est adopté officiellement le 4 décembre suivant. Le général Lwoff est récompensé par une tabatière d’or enrichie de diamants.  Le tsar ordonne, en outre, que les premiers mots « Dieu garde l’Empereur » devienne la devise de la famille Lwoff.

 

Paroles publiées le 15 août par le Courrier de l’Allier :

Dieu garde l’Empereur,

Bénis son nom, étends son pouvoir et sa grandeur.

Czar sois toujours vainqueur !

Des infidèles, Dieu garde l’Empereur !

 

Dieu protège le Czar !

Son étendard

S’unit et pour jamais, à l’aigle, au léopard,

Gage d’alliance,

Constantin le devance,

O Providence,

Protège le Czar !

Commenter cet article