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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Août 1897, de l’élégance, de l’aplomb et une arrestation

Publié le 8 Août 2021 par Louisdelallier in Faits divers

Annuaire l'Allier 1900

Annuaire l'Allier 1900

Descendue dans l’un des bons hôtels de Moulins sous un nom à particule, une femme élégante, en tenue de deuil, explique être venue voir des religieuses du Sacré-Cœur de Bellecroix à Yzeure.

En fait de rencontre pieuse, elle se livre à moult emplettes dans le centre-ville en ce mois d’août 1897. Le jeudi 12, vers 20h 30, elle entre à la librairie Bauculat-Roulleau, rue Voltaire, où elle choisit des christs en ivoire qu’elle fait mettre de côté. Juste après sa sortie, le libraire constate l’absence d’un cachet rehaussé d’émaux d’une valeur certaine et signale sa cliente à la police.

Par hasard, le lendemain, Mme Bauculat-Roulleau la reconnaît à l’épicerie parisienne Madoré-Dumons (angle place d’Allier et rue Paul-Bert) très occupée à faire préparer par des commis affairés bonbons, chocolats et autres sucreries qu’elle demande à se faire expédier à la gare de Bessay au nom de Mme de Castries récemment installée dans la commune.

Monsieur Madoré, informé discrètement par l’épouse du libraire, décide de suivre l’honorable personne, en compagnie du sous-brigadier Fargue. Après avoir emprunté la rue du Four, celle des Jardins-Bas et la montée du château, elle entre dans la cathédrale. Tout dans son attitude révèle son inquiétude, ce qui décide le policer à intervenir pour l’emmener au poste.

Accrochée à sa ceinture, elle porte une sorte d’aumônière renfermant le cachet subtilisé qui précipite son arrestation, un porte-mine en os, deux canifs avec manche de nacre, une médaille en or avec calice gravé sur une des faces. La possession de ces menus objets la contraint à reconnaître les vols.

Interrogée par le procureur de la République, elle l’implore de ne pas l’obliger à donner son nom pour ne pas déshonorer sa famille dont certain des membres sont magistrats. Malgré ses réticences, petit à petit, son parcours moulinois prend forme. L’anonyme est allée chez le chapelier Sarrazin, rue d’Allier, où elle a acheté pour plus de 200 francs de marchandise à payer à terme. Au Gagne-Petit, chez Col, rue de l’Horloge, elle a commandé une jupe doublée de soie valant 65 francs à essayer le lendemain et repart avec deux jupons d’une valeur de 40 francs environ. Chez Concasty, marchand de parapluies rue de Paris, le même jeudi 12, elle s’est informée du prix de la réparation d’une ombrelle avec une belle étoffe.

Aux marchands de chaussures Roche et Desvignes, rue des Couteliers, elle s’est présentée comme Mme de Tarciac, propriétaire à la Ferté-Hauterive. Chez eux, elle a fait prendre des mesures pour souliers ultra-chics et s’est fait remettre plusieurs boîtes de chaussures dont 2 seront retrouvées à la librairie Velu, avenue Nationale où sa tentative de vol d’objets de piété a échoué, trop surveillée qu’elle était par monsieur Velu.

Et ils ne sont pas les seuls à avoir été visités par cette drôle de dame. Les maisons Chatron-Dailhoux (mercerie-lainage-tapisserie pour dames) 9 rue François-Péron, Artault place de l’hôtel-de-ville (une commande de plus de 7 000 francs de montres, bijoux, etc.), Tival, (armurerie-coutellerie) rue Laussedat, sont sur la longue liste.

Une perquisition de la chambre d’hôtel est ordonnée. Les bagages de madame de Terrieux, un autre de ses pseudonymes, consistent en peu de choses. On remarque les bouts de ficelle en guise de liens à son bonnet de nuit, signe évident d’un manque d’aisance financière. On trouve une camisole aux initiales M. C., des mouchoirs marqués A. C., deux jupons escroqués chez Col, des papiers d’emballage.

A ce butin dépareillé s’ajoute le tapis de l’autel de l’Enfant-Jésus provenant de la cathédrale dont monsieur Ronchaud, sacristain, avait signalé la disparition, tapis empaqueté que l’aventurière avait jeté par-dessus un mur lorsqu’elle avait compris qu’elle était filée.

Le mardi suivant, 17 août, un nouvel interrogatoire se déroule suivi d’une confrontation le 20 avec Messieurs Bauculat-Roulleau, Col, Desvignes, Tival et Madoré qui reconnaissent sans hésitation Angèle Champigny, puisqu’il s’agit enfin de sa véritable identité. Madame Champigny, arrivée de Saint-Amant-Tallende dans le Puy-de-Dôme, le dimanche, confirme que sa fille appartient à une honorable famille de propriétaires dans la commune. Avant d’écumer les magasins moulinois, Angèle, 31 ans, s’est rendue à Marseille, Nice et Clermont-Ferrand.

Elle comparaît devant le tribunal de Moulins le vendredi 24 septembre. Le docteur Nolé, directeur de l’asile départemental des aliénés (Sainte-Catherine), s’est penché sur son cas et a noté des « tares héréditaires et des signes non équivoques de névrose hystérique »… Il conclut que la responsabilité de la kleptomane n’est pas entière car elle était sous l’emprise de cette névrose lorsqu’elle s’est rendue coupable des vols.

Angèle Champigny se défend en prétextant qu’une personne devait régler ses achats à sa place, pleure et ne peut expliquer pourquoi elle s’est emparée du tapis d’autel. Les témoins à charge, messieurs Bauculat-Roulleau, Léon Col, Mmes Tival et Concasty sont à leur tour entendus. Maître Péronneau qui remplit les fonctions de ministère public prononce le réquisitoire. Ayant à nouveau la parole, l’accusée tient à préciser qu’elle n’a encore jamais été condamnée. Ce à quoi, Maître Péronneau rétorque que son existence est étrange et mystérieuse et que la conduite de sa mère n’est pas à l’abri de toute critique… Angèle s’indigne d’entendre de tels propos sur sa mère qu’elle considère comme une excellente femme. Son contradicteur insiste en affirmant que la conduite de madame mère intrigue tout le monde à Saint-Amant-Tallende sans plus de précisions. Toutefois, il atténue ses propos en espérant que le jury tiendra compte des bons antécédents de la prévenue et de son discernement altéré. La peine prononcée est de deux mois d’emprisonnement.

Le Courrier de Saône-et-Loire du 15 août 1897 relate l’arrestation à Moulins de la grande dame en deuil. Mais, pour lui, il s’agirait de Francine Bouillet originaire de Lorette dans la Loire qui a commis de nombreuses escroqueries en Savoie à Aix-les-Bains, en Isère à Allevard  et Grenoble, en Saône-et-Loire à Paray-le-Monial, sur le littoral méditerranéen, en Ardèche à Annonay et Lalouvesc, dans la Loire à Firminy et Saint-Étienne, dans le Puy-de-Dôme à Châtel-Guyon, dans l’Allier à Vichy, etc., également sous des noms d’emprunts tels madame de Jardoux, madame Morel, et la marquise de Taloir.

Sans aucun doute, s’agit-il de la même personne à qui le journal attribue une identité et quelques méfaits supplémentaires.

 

Louis Delallier

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