Léon Madet est garçon de dortoir au lycée Henri-IV à Paris. Moulinois d’origine, il a occupé le même emploi au lycée Banville qu’il a quitté pour la capitale, recommandé par le proviseur. Jusque-là, rien de bien extraordinaire n’est arrivé à Léon. Au début de l’automne 1908, pour pouvoir s’engager dans le 23e régiment d’infanterie coloniale, il adresse à la mairie de Moulins une demande d’acte de naissance, en toute sérénité. Et cette simple formalité se transforme en coup de tonnerre.
Léon est mort depuis janvier 1892, à l’âge de trois ans !
La nouvelle fait le tour des rédactions locales et nationales (Le Courrier de l’Allier, le Petit Journal, La Croix, l’Eclair, Le Matin, L’Univers, Le Petit Parisien, etc.). Interrogé par le Matin, Léon exprime sa stupéfaction d'apprendre qu'il était mort, nouvelle qui l’a laissé plus mort que vif… et il se pose avec humour la question de sa vie entre ses 3 et 20 ans. N’était-ce qu’un songe ?
Bien que cet état de fait n’entrave pas son intégration dans l’armée, il ne tient pas à rester mort toute sa vie ! Il profite d’une permission à Moulins pour solliciter une rectification auprès du tribunal. Mais il est bien plus facile de commettre une erreur que de la réparer. En effet, l’enquête va prendre plus de deux ans et demi.
Enfin, le 28 juin 1911, le tribunal de première instance de l’arrondissement de Moulins, convaincu par les résultats des recherches et l’audition de mesdames veuves Brunet et Meunier, respectivement nourrice et tante de Léon, annule l’acte de décès de Léon qui, à 22 ans, opère une sorte de résurrection. Le jugement n’explique pas la confusion de personne.
Le véritable drame aura concerné Alphonse Martin, 3 ans, entré à l’hôpital Saint-Joseph le 19 décembre 1891, sans autre mention sur sa fiche d’admission que son identité et « soins gratuits ». Il y décède le 6 janvier suivant. Son acte de décès aurait alors été établi avec une logique manquant singulièrement de rigueur ; on se serait reporté au registre des naissances de décembre 1888 où l’on aurait choisi l’un des deux enfants portant le patronyme de Martin*. Comme il n’y avait pas d’Alphonse. Léon a fait l’affaire !
Les minutes du greffe de tribunal sont retranscrites à la page 133 du registre des décès de Moulins de 1911. Aucune mention marginale n’a été portée sur l’acte de décès erroné et aucune sur l’acte de naissance de Léon, si ce n’est son mariage en 1922 avec Marie Antoinette Flour à Oppède dans le Vaucluse et son décès, l’authentique, le 12 novembre 1952 à La Garde dans le Var. Marie Antoinette et Léon ont eu 5 enfants : Sabine, André, Joseph, Marcel et Philippe.
Léon Madet a fait partie de la colonne expéditionnaire du général Moinier au Maroc et il est devenu adjudant au 150e bataillon de tirailleurs sénégalais.
Louis Delallier
*Léon, né le 22 décembre 1888, est déclaré sous le nom de sa mère, Camille Martin. Il est légitimé au moment du mariage de Léon Madet, son père, plâtrier, avec Camille, domestique, le 14 février 1894.