En 1854, la Ville décide de créer le square de la gare avec le concours de la Société d’horticulture de Moulins. C’est là qu’un pavillon en forme de rotonde est construit en novembre 1860 après autorisation du conseil municipal et sur proposition de M. Pallard. Y sont installés un café et un cabinet de lecture. Mais l’idée des livres fait long feu et le divertissement prend le dessus. Cet établissement devient ainsi le café-concert « la Rotonde » en 1863, sorte de music-hall avant l’heure. L’entrée est libre. Les consommations sont naturellement payantes et sont de première qualité. L’orchestre répète tous les jours de 14h 30 à 16h 30 pour son concert de 20 heures. S’y ajoute une matinée de 14h 30 à 17h chaque dimanche et jour de fête. En octobre 1893, la ville de Moulins devenue propriétaire de l’établissement annonce les réparations qui s’imposaient dont le remplacement des cabinets particuliers et la pose d’une grille extérieure. Celle-ci, d’une qualité décevante par ailleurs, sera très rapidement remise en question dans la presse à cause du danger que représentent pour les jeunes enfants ses piques acérées trop basses.
Sa clientèle, principalement constituée de militaires en garnison au quartier Villars et de la jeunesse dorée moulinoise, venus s’y rincer l’œil et boire, y fait beaucoup de tapage. Une réglementation interdit aux chanteuses, dont Coco Chanel restée dans les mémoires, de quêter ou de prendre des rendez-vous dans la foule après leur tour de chant. Ces restrictions conduisent peu à peu à la diminution de l’activité de la Rotonde qui est démolie en 1909.
Du temps de la prospérité de la Rotonde, plusieurs autres salles, très fréquentées, régalent les amateurs de music-hall :
La salle Mérié* (ou « casino moulinois » à ses débuts) jusqu’à sa fermeture dans les années 1880 est la seconde salle après le théâtre pour l’importance et la première pour la superficie. L’entrée en est payante. Jusqu'en 1877, les artistes sortent tous du conservatoire.
Le casino du Dauphin sur les cours**, aussi nommé « Le Bodard » du nom de son chef d’orchestre, propose également un concert quotidien à 20h avec entrée libre et consommations payantes. Il existe au moins depuis 1889. En 1892, Madeleine Bodard en devient la directrice après la mort de son mari Gilbert, qui a commencé comme limonadier. Pierre Chassagne lui succède en septembre 1912. Mobilisé pendant la Grande Guerre, il ne reprend ses activités qu’à la fin du mois de mars 1919 et au moins jusqu’en 1922.
En juillet, une publicité parue dans la presse locale mentionne un spectacle de famille, avec entrée libre, tous les jours, comprenant un apéritif-concert de 17 heures à 19 heures, une soirée de 20h 30 à minuit, le tout avec un brillant orchestre symphonique sous la direction de M. Florkin, 1er prix du conservatoire de Bruxelles.
Le casino du Dauphin n’échappe pas non plus aux désordres provoqués par les consommateurs comme ce 24 avril 1889 vers 22 heures. Plusieurs sous-officiers du 10e chasseurs entrés avec leurs sabres frappent sur les tables vides et redoublent d’efforts quand madame Bodard intervient. Un agent de police doit être appelé à la rescousse.
La Rotonde comme le Dauphin bénéficient de nombreux articles critiques signés Louis d’Entraygues et Marius d’Estoc (pseudonymes ?) dans l’Art lyrique ou la Lanterne. Ces articles sans concession donnent quantité d’informations sur les artistes recrutés et la qualité de leurs performances. On constate que les spectacles ont du succès et que les directeurs les renouvellent régulièrement pour ne pas lasser la clientèle. On y apprend aussi qu’un soir de novembre 1897 Mme Bodard reçoit une contravention pour fermeture tardive.
L’art Lyrique du 10 janvier 1897 :
Au sujet du Dauphin
« Grande décadence à la « bodardière » ; toutes les « grandes attractions » qui figuraient au programme étant parties, la splendeur momentanée de ce beuglant s’est éteinte comme un feu de paille ! […] le côté des hommes s’est augmenté de M. Gauthier, comique et mandoliniste bon comme instrumentiste, mais pauvre comme comique, figure d’enterrement ; un conseil, mon cher, faites-vous chatouiller avant la ritournelle par Mlle Eva, ça vous égayera peut-être ! » signé Marius d’Estoc
La Lanterne du 18 mars 1897 :
Au sujet du Dauphin
« Avant de terminer ce long article, je tiendrais à faire un juste reproche à l’administration qui laisse faire un charivari infernal dans les loges de sorte que les auditeurs qui se trouvent dans la salle n’entendent rien ou presque rien. Allons, Monsieur, un bon mouvement et prenez modèle sur votre rival. »
Au sujet de la Rotonde :
« La troupe qui la compose est meilleure que celle qu’il y avait quelques semaines auparavant. On y applaudit « les Verfaille » comiques ; Mlle Dupuis, Jeanne Davil et Marthe Davil. Mme Girardi est bonne comme romancière et se fait applaudir et bisser dans « Dites-moi si vous avez un cœur ». Jean Yne, Aimée Granier obtiennent beaucoup de succès. » Louis d’Entraygues
La Lanterne, supplément du 26 juin 1897
Au sujet du Dauphin
« […] Ninette n’est pas très comique, malgré l’annonce du programme, mais elle dit si gentiment les Dames parisiennes, que je passerai sur le reste ; Lili Valois – qui a remplacé Piémont – chante aussi faux que cette dernière. » […] Wilmine dit bien la Marraine de Bagnolet, genre poivrot, qui lui va à ravir. […] Compliments à Gazel, pianiste accompagnateur. […] L’administration ne pourrait-elle pas faire cesser le bruit qui se produit quotidiennement dans les loges au détriment des spectateurs placés dans la salle ? »
Louis d’Entraygues
Dans les années 1896/1897/1898, défilent (entre autres) sur les scènes de variétés moulinoises pour des morceaux choisis :
Aubert comique, mandoliniste, Berthe Duvernay, Blanche de Caylus, Bruyton et Rosny, les Giovanni, duettistes, M. Béraud, comique grimé, Gabrielle Miroy, Honoré, comique, les Hadol Léona, les sœurs Castella, M et Mme Gérald, duettistes excentriques, Pédro ou l’homme aux bambous, équilibriste, Rolly’s, comique, Mlle Deville, Mlle Ding, Mlle Dolorès, Mlle Dupin, Morellus, Lucienne Dupin, chanteuse (à la Rotonde), Amis’s, baryton, Andrée Bernaval, Blanche Lilus, Cassivette, Césarine Saint-Joseph, Chaillier, bossu parisien, De Henry, comique grimé, De Kerval, Duffaut duettistes, Fanchette et Wilmine, Fréjus, comique croque-mort, Les Bell-Florial, Les Taylor-Terry, Madame Barelly, Madame Belcour, les Tablers, duettistes, les Jul’s, Mlle Célestange, Mlle Léa Noris, Mlle Margry, romancière, Mlle Pissilier, Tom Miltor, excentrique, Trio Phoebus-Pamphile-Théo, Mlle Farnèze, excentrique, Mlle Blanche de Saint-Germain, Marcelle, gommeuse (au Dauphin).
Tous sont des professionnels itinérants qui courent le cachet dans les villes de province. Il leur arrive de quitter leur emploi précipitamment soit pour une meilleure rémunération ailleurs, soit par manque de succès, soit pour éviter de régler quelque note de logement. En octobre 1911, est publiée la reproduction d’un contrat émanant du casino du Dauphin suivie d’un commentaire sur la honteuse exploitation des artistes qui n’ont guère le choix de refuser de tels engagements et sur l’urgence d’une intervention préfectorale pour faire cesser ce genre de choses. Cette défense restera lettre morte, mais confirme la précarité de ce travail du divertissement.
Aucune des personnes dont les noms sont cités par les critiques n’a laissé de trace.
Louis Delallier
*Un parking occupe son emplacement (entrée avenue Théodore-de-Banville)
** n°24 cours Jean-Jaurès qui fut, il y a quelques décennies le salon de coiffure de Maurice Daubard.