D’un million avant la Révolution, leur quantité aurait triplé en 1914. Les chiens s’imposent progressivement dans les foyers, l’agriculture, l’industrie. La pratique de la chasse se développe, le nombre des troupeaux à garder augmente, les artisans s’en servent pour tirer de petites charrettes et toutes les classes sociales se mettent à rechercher leur compagnie. Mais, revers de la médaille, on se lasse d’eux, on les néglige, voire on les maltraite, ce qui explique leur multiplication dans les rues des villes. Pour tenter de freiner leur errance souvent agressive et les risques de propagation de la rage, les municipalités rendent le port du collier obligatoire avec mention des coordonnées du propriétaire. De plus, dans l’espoir de limiter la population canine, une taxe nationale de 5 francs est instaurée en 1855. Il s’en suit des exécutions en masse pour ne pas avoir à s’en acquitter. Et tous les moyens sont bons pour tuer son chien. Les cadavres s’accumulant, la mégisserie se met même à fabriquer des gants en peau de chien…
Moulins n’échappe pas à cette nuisance.
Dès 6 heures et pendant plus de deux heures, le matin du lundi 25 juin 1900, un grand chien de berger qui semble arrivé de nulle part, poil sale et hirsute, œil méchant, sème la panique en ville. Chassé de la place des Carmes (à côté de l’église Saint-Pierre) où il a passé la nuit, il s’élance vers le jardin de la gare et y mord plusieurs de ses semblables. Il s’engage rue de Villars, puis rue de Refembre. Là, il se jette contre une fenêtre derrière laquelle l’observe un toutou de salon. Arrivé rue de Lyon, après avoir mordu au moins six autres chiens, il détale en découvrant des humains en colère armés de fusils et de fourches. Au fur et à mesure de son avancée, il terrorise les passants dont des enfants sur le chemin de l’école.
Place d’Allier, il mord encore. Parvenu au boulevard Ledru-Rollin, il emprunte la rue Bertin pour la troisième fois. C’est là que M. Dubost, secrétaire de la société des courses, l’abat d’un coup de fusil. On estime à une quarantaine le nombre de ses proies canines. Aucune personne n’a heureusement été attaquée.
Le vétérinaire qui autopsie la dépouille de l’animal à l’abattoir écarte le risque rabique. Sa tête est toutefois envoyée à l’Institut Pasteur pour examen. Malgré ce diagnostic provisoirement rassurant, il est vivement recommandé aux propriétaires des bêtes mordues de les garder sous leur surveillance.
En attendant les résultats, le maire de Moulins, Joseph Sorrel, prend un arrêté visant à prévenir d’autres incidents liés à la divagation des chiens.
Ce n’est que le 27 juillet qu’une lettre de l’Institut Pasteur parvient à la mairie indiquant ses conclusions après inoculation de matière cérébrale du chien à des cobayes : il était bien enragé.
Le 31 juillet, le Courrier de l’Allier publie la lettre de M. Combaret qui tient à préciser qu’il n’a pas participé à l’autopsie dont le résultat ne lui convenait pas, faite par l’un de ses collègues plus gradé. C’est pour cette raison qu’il a conseillé l’envoi de la tête à l’Institut Pasteur. Il considère que les mesures prises après l’événement n’étaient pas assez rapides et sévères. Il ajoute que la circulaire ministérielle du 20 août 1882 ordonne l’abattage des cas suspects, ce qui n’a pas été le cas à Moulins où un cas de rage a été détecté après le déchaînement de la bête.
Ce fléau quotidien fait aussi des victimes dans la population. Le 26 juin, soit le lendemain de l’affaire, le bouledogue d’un charcutier de la place aux Foires (place Jean-Moulin actuelle) entre dans la cour d’une maison de la rue des Bouchers vers 20h 30 et mord la jeune Berthelot, 5 ans, au visage alors qu’elle jouait avec d’autres enfants. La blessure qui saigne abondamment peut heureusement être soignée par un pharmacien.
Le 2 juillet, on compte dix contraventions pour divagation sur la voie publique, deux conduites à la fourrière, et une morsure à la main pour l’un des employés chargés de la capture, lequel s’évanouit pendant les soins à la pharmacie Michelot rue d’Allier.
A la fin du mois, M. Mongorget, capteur de chiens, est, quant à lui, tabassé par B., entrepreneur et restaurateur place aux Foires, et trois de ses pensionnaires qui prennent fait et cause pour le propriétaire de l’animal.
Louis Delallier