À la fin août 1876, sur la place du Chemin de fer, à quelques pas de la Banque de France, M. Bisson installe sa petite entreprise qu’il a, solennellement, nommée cirque zoologique. Cette troupe tient plus de la ferme ambulante que du zoo : chiens, coqs, lapins, chats, poules, canards, oies, dindes et quand même des singes, tous dressés en liberté et capables d’exécuter des numéros répétés et répétitifs.
En effet, le spectacle se déroule tous les jours à 20 heures (et pour les enfants, à 15 heures les dimanches et jeudis). Les quarante « artistes », costumés, se démènent deux heures durant. Il est difficile de se représenter ces sketches d’un programme bien rôdé. Un singe malicieux, très applaudi, campe un jeune cuisinier de l’hôtel Coco servant ses congénères. Une course de jockeys est brillamment organisée. Madame la marquise de Pompadour déambule avec grâce ! Frise-Poulet, chien de son état, tient le rôle d’un soldat exemplaire qui reçoit force morceaux de sucre avant de déserter en emportant la cuillère de l’un de ses semblables. Rattrapé, il est condamné à mort par le conseil de guerre au cours duquel un juge singe fait preuve d’intransigeance avec le règlement. Frise-Poulet, admirable de résignation affirme-t-on, est passé par les armes. L’émotion suscitée est bien vite estompée quand surgit la cavalcade comique en vélocipède réunissant sur scène tous les participants. Quelques intrus dans ce monde animalier démontrent leur talent : un homme-caoutchouc, une jeune fille jongle avec des lames tranchantes et des torches enflammées, un jeune homme danse sur des verres et joue de la guitare assis sur une pyramide de bouteilles. Les places sont à des prix abordables : 1 franc pour celles réservées, 0,60 franc pour les premières et 0,40 franc pour les secondes.
Tout va bien jusqu’au jeudi 14 septembre peu avant le début de la représentation du soir. La parade sur l’estrade extérieure est en cours quand deux hommes sortant d’un passage le long de la baraque crient au feu et passent aussitôt leur chemin. Ce n’est pas un canular car des flammes entament les toiles, les banquettes, le matériel, la garde-robe des animaux, l’arrière du cirque (appelé le laboratoire) et l’orgue estimé à 3 500 francs. Le public, qui commençait seulement à s’assoir, parvient à quitter les lieux sans encombre tandis que M. Bisson et sa famille mettent leur petite ménagerie à l’abri dans les voitures. Lorsque la pompe à eau du chemin de fer et les volontaires arrivent, il est déjà trop tard. Les secours n’ont pas pu empêcher le feu, visible de la place d’Allier, de détruire la majeure partie de l’outil de travail des Bisson, accablés et dorénavant sans ressources. L’incendie aurait été causé par l’imprudence de gamins qui tournaient autour du cirque en fumant et auraient utilisé la toile goudronnée pour craquer leurs allumettes.
Le Courrier de l’Allier ému par la détresse des sinistrés fait appel à la générosité de ses lecteurs et commence par mettre 5 francs dans la cagnotte. Peu après, un abonné écrit au journal pour expliquer que ses enfants qui se sont bien amusés donnent toutes leurs économies (40 francs). Les enfants Métivet envoient 2 francs, un abonné 10 francs, André Bergeon 5 et plusieurs anonymes 2 ou 2,50 etc.
Enfin, la réouverture de la « loge » de M. Bisson est annoncée pour le dimanche 31 décembre à 14 heures. Il lui aura fallu pas moins de trois mois pour tout remettre en état grâce aux prêts obtenus : à Besançon pour de la toile imperméable (80 francs), à Lyon pour les étoffes, à Paris pour l’orgue, etc. Son honorabilité sert de garantie. La petite troupe va devoir redoubler d’efforts pour gagner de quoi rembourser les crédits en plus de l’ordinaire pour survivre.
La tournée aura bien repris car on retrouve tout ce petit monde, à Saint-Jean-d’Angély notamment, en février 1879 où il obtient le même succès.
Louis Delallier