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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Un dictateur ? Mais qui ?

Publié le 3 Mai 2022 par Louisdelallier

Petit Journal du 21 novembre 1934

Petit Journal du 21 novembre 1934

Le 21 novembre 1934, le Petit Journal* publie le règlement de son grand référendum, titré « Un dictateur ?... Mais qui ?... » et souligne qu’il ne s’agit pour lui que d’enregistrer une tendance en toute objectivité pour se faire l’écho de la population française. La presse bourbonnaise diffuse l’information bien entendu.

Le Petit Journal se félicite au passage de la reprise de son initiative dans L’Intransigeant et Notre Temps, ce dernier expliquant que « Dans les périodes difficiles que le monde traverse actuellement, la dictature a souvent été évoquée comme un remède radical. À tort, à raison ? Nous n’en discuterons pas pour l’instant. Mais nous étions tenus par notre souci constant d’impartialité d’enregistrer que, dans les lettres où souvent ils se confient à nous, bon nombre de lecteurs y ont fait allusion. »

La question est directe : « Si la France devait choisir un dictateur, qui désigneriez-vous dans la liste donnée ci-après ? »

Abbé Bergey - Bergery - Léon Blum - Bouisson - Cachin - Chéron – Jean Chiappe - Citroën - Édouard Daladier - Léon Daudet - Raoul Dautry - Marcel Déat - Denain - Jacques Doriot - Gaston Doumergue  - Pierre-Étienne Flandin - Louis Franchet d’Espérey - Édouard Herriot – Jules Jeanneney  - Léon Jouhaux - François de La Rocque - Pierre Laval - Lebecq - Lebrun - Georges Mandel - Merin - Marquet - Charles Maurras - Nicolle – Philippe Pétain - Pichot - Jean-Renaud - Louis Renault - Paul Reynaud - Tardieu - Henry Torres - Taittinger - Maxime Weygand - Marianne

Une deuxième question pourra départager les ex-aequo : « Par combien de voix sera désigné le candidat arrivant en tête ? ».

La liste comprend des personnalités marquantes de l’entre-deux-guerres dans les domaines de la politique, l’armée ou la grande industrie. Certaines ne se sont pas encore illustrées avec les graves dérives que l’on connaît. Un portrait de chacun est diffusé dans le quotidien à tour de rôle. Il est précisé que cette énumération n’est pas exhaustive, chacun pouvant voter pour soi-même !

Un comité composé d’Albert Lejeune, directeur général du Petit Journal, Alfred Mallet, rédacteur en chef et Monsieur Lenicque, administrateur est chargé du dépouillement et du classement après le 5 décembre inclus, date limite d’envoi des réponses.

Des prix seront distribués du 1er au 300e participant d’une valeur totale de 15 000 francs : chambre à coucher Louis XV en acajou de chez Génin, appareils de TSF (un Lemouzy et un Synchrovox), accordéons italiens, bicyclettes Peugeot, appareils photo Photo-Maton avec accessoires pour le développement, carillons, montres, appareils photo à pellicule, appareils ménager Glo-Glo, écrins de six couverts, timbales en métal argenté, colliers de perles imitées, coffres de parfums Guéneaux, jeux de tricotin pour dame.

Marcelle Bordereau, dont le mari possède un atelier de charronnage et des vergers à Chevru en Seine-Maritime est l’heureuse gagnante. Les époux et leur fils ont chacun envoyé un bulletin différent. Madame a choisi un vaillant soldat nécessairement énergique et un homme d’honneur.

Le deuxième prix est remporté par Gabriel Klein, collégien de Lunéville. Sa mère est ouvrière dans une faïencerie. Jean Villard de Roanne dans la Loire et Marguerite Bertrany, sage-femme à Nogent-le-Rotrou sont les 3e et 4e gagnants. Mme Bertrany explique son choix par la crise du moment, tant morale, que financière, économique et sociale que le régime en place ne parvient pas à enrayer. Pétain, dont le prestige retiré de la guerre de 14-18 est toujours vivace, est une figure rassurante très populaire.

La Concorde**, quotidien parisien, rapporte que tous les candidats involontaires ayant attiré le plus de suffrages ont décliné l’honneur qui leur était fait. Il conclut que c’est la République qui sort victorieuse de cette consultation sans doute à cause de la belle quatrième place de Marianne pour laquelle 20 102 personnes ont curieusement opté. Dictature et république ne font pourtant pas bon ménage.

Le maréchal Pétain sort vainqueur avec 38 561 votes sur 194 785, suivi par Pierre Laval avec 31 403. Le troisième est Gaston Doumergue qui fut président de la république de 1924 à 1931 (23 854 voix). La quatrième place revient donc à Marianne.

Le Maréchal Pétain répond qu’il est très flatté de la confiance que le peuple français met en lui et tient à dire qu’il n’en profitera pas. Pierre Laval, alors ministre des affaires étrangères, affirme que la démocratie est indissolublement liée à la France et qu’elle n’est ni démodée, ni épuisée. La suite est connue.

De tous les portraits publiés par le Petit Journal pour éclairer ses lecteurs intéressés par son sondage, celui de Pierre Laval, le 29 novembre 1934, est très clairement louangeur. Et il est orienté pour influencer le public dans le sens donné par le ministre des affaires étrangères à sa diplomatie, c’est-à-dire un rapprochement avec l’Italie de Mussolini et un dialogue avec Hitler. Laval se veut le chantre de la conciliation, celui qui peut faire reculer le spectre de la guerre. La publication des résultats de la consultation journalistique a lieu juste avant le voyage de Laval à Rome et au moment où Hitler triomphe avec son référendum de rattachement de la Sarre à l’Allemagne.

Le Petit Journal a atteint un autre objectif qui est de faire parler de son initiative dans la presse nationale et européenne dont Il Popolo d’Italia, la Gazetta di Venezia, l’Arena de Verone, La Epoca de Madrid, le Magyar Hirlap de Budapest, le Populaire de Sundgau, le Courrier de la Sarre, Il Mattino Napoli, Les journaux de Prague, d’Autriche, etc.

Cette liste de noms, ce bulletin-réponse et ces cadeaux bien tentants sont les arbres qui cachent la forêt d’une propagande politique à laquelle se livre le Petit journal en des temps très troublés.

 

Louis Delallier

 

*Le Petit Journal (1863-1944) est un quotidien bon marché dont les tirages surpassent de loin ceux des journaux classiques grâce surtout à ses relations de faits divers extraordinaires. En 1899, il annonce jusqu’à 5 millions de lecteurs.

**La Concorde est un journal du soir, religieux et politique fondé en 1870 pendant la guerre franco-prussienne.

 

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