Janvier 1915, la guerre fait rage depuis presque six mois et dévore les hommes comme une gloutonne. Les usines, les ateliers, les champs se vident et la liste des morts s’allonge. Difficile d’échapper au désespoir ou à la colère.
Eugène, âgé de 13 ans, a pris une résolution ferme. Au matin du mardi 19 janvier, il quitte le domicile familial, 6 rue des Couteliers, sur sa bicyclette comme si de rien n’était et descend la rue Gambetta pour se rendre au pensionnat Saint-Gilles à quelques minutes de là.
A midi, il ne rentre pas déjeuner. Morte d’inquiétude, sa mère se hâte à l’école où elle s’adresse à ses camarades de classe. L’un d’eux lui révèle qu’il a trouvé une mot d’Eugène dans son propre pupitre lui demandant de bien vouloir avertir sa mère de son départ pour Dijon où son père Célestin est mobilisé. Le plan du jeune garçon est bien établi. Il compte se faire engager au bureau de recrutement de Montluçon auquel il avait adressé cette lettre le 18 janvier :
Cher Monsieur,
Je vois que cette terrible guerre de 1915 dure très longtemps. Je veux, moi aussi, donner un coup de main, de manière qu’il n’y ait plus de ces Boches dans notre cher pays de France. Je ne suis qu’un enfant de 13 ans et demi. Je désirerais m’engager pour défendre cette chère patrie qui depuis longtemps est envahie par ce méchant ennemi. Oui, veuillez bien agréer ma demande, je vous en supplie. Je n’ai pas besoin d’un costume, car vous n’en avez sas doute point qui m’aille. Mais ce qui est le plus utile est un fusil, une cartouchière, un sac contenant tasse et gamelle
Veuillez encore une fois agréer ma petite demande.
Voici mon adresse : Monsieur Eugène Bottone, 6 rue des Couteliers, Moulins (Allier)
E. Bottone
Finalement, les obstacles trop nombreux sur son chemin de patriote en herbe l’ont convaincu de renoncer. Il réintègre la maison le lendemain matin ôtant à sa mère Victoria et ses deux sœurs, Rose et Clémentine, une inquiétude bien lourde.
Célestin Bottone, immigré italien et plâtrier de son état, reviendra sain et sauf de la guerre autant qu’on puisse en juger par ses activités futures. En effet, en 1925, il intègre le tout nouveau moto-club de Moulins et participe aux compétitions organisées. Il recevra, le 11 novembre 1950, la médaille de la Reconnaissance française des mains de Maurice Tinland, maire de Moulins et résistant, pour s’être particulièrement distingué pendant la Deuxième Guerre.
Quant à Eugène, qui avait donc de qui tenir, il devient peintre en bâtiment et travaille pour son père. Toujours Moulinois, en juillet 1946, il offre une prime de 100 francs au dernier du premier championnat de marche des facteurs.
Louis Delallier